La femme scorpion

"plonger", sur le mur d'images Google. Photo: Les Soirées de Paris« Plonger », le dernier ouvrage de Christophe Ono-dit-Biot publié chez Gallimard (Prix Renaudot des lycéens), décrit l’histoire d’une passion ravageuse. Un hymne à l’amour fou en grande partie autobiographique. Au départ, on peut n’éprouver aucune envie d’y « plonger ».  Encore un livre de journaliste qui parle de lui, de  ce qu’il a vécu,  de son métier (plutôt bien au demeurant).

Et comme le talent d’un journaliste se mesure souvent au volume de son ego, on redoute déjà l’overdose. D’ailleurs perceptible au début de l’ouvrage, même si, reconnaissons-le, il n’est pas donné à tout reporter de se retrouver à  Phuket au lendemain du tsunami. Ou d’avoir failli être pris en otage à Beyrouth.  

Mais tout ne peut être mauvais chez un romancier qui choisit de prénommer Hector le fils de son héros César. Hector, l’irréprochable héros mythique de la légende d’Homère… Non, tout n’est pas à rejeter chez un écrivain amoureux de Gijón, la capitale des Asturies sous le charme de laquelle on ne peut que tomber. Cette ville, doublement imprégnée des odeurs âpres d’iode et de cidre sans bulles, fait office d’escale portuaire à mi parcours sur le chemin de Compostelle…  

Les réticences s’envolent vite à la lecture du livre. D’autant que le moi-César cède très vite la place au nous, voire à Elle, « sa » Paz. Elle, c’est une Espagnole au caractère trempé (l’adjectif convient au propre comme au figuré) exerçant le métier de photographe. Il  a croisé son chemin par hasard et fera tout pour la retrouver au terme d’opiniâtres et rusées recherches. Une enquête amoureuse dont toute femme  normalement constituée s’éprendrait avant bien sûr de succomber à l’enquêteur… Mais la belle, fière et talentueuse artiste ne s’en laisse pas conter. D’autant que leur histoire d’amour a démarré sur un malentendu,  l’interprétation de ses clichés. 

César se fait narrateur. C’est lui qui raconte à son fils Hector, fruit de leur amour, la naissance et la dérive sentimentale de ses géniteurs. Le récit  vaut double message d’amour, vertical et horizontal,  actuel et posthume puisque Paz n’est plus. Le César amoureux ne se donne jamais le beau rôle. Il fait de sa compagne et mère de son fils la vraie héroïne du livre. Il la hisse au panthéon croisé de sentiments évoluant en ciseaux : la passion flambe chez lui quand elle s’éteint chez elle. Lente et douloureuse combustion à laquelle il assiste impuissant malgré tous ses efforts. Lui n’aspire qu’à fonder un foyer dans une Europe pacifiée. Elle rêve d’absolu à la Châteaubriant, refusant de s’étioler à ses côtés. Le lecteur est  témoin de cette double dérive de leurs émotions et ambitions.  

"Plonger", sur le mur d'images Google. Photo: Les Soirées de Paris

« Plonger », sur le mur d’images Google. Photo: Les Soirées de Paris

Interrogez ceux qui ont lu le livre, tous n’ont pas la même perception de Paz.  Certains voient en elle une jeune femme torturée, capricieuse voire odieuse quand elle reproche au géniteur de ne pas porter l’enfant. Une compagne à la recherche non pas du succès (elle le fuit !) mais de la reconnaissance qui n’est jamais que gagner l’estime de soi. D’autres ont le jugement moins sévère, qui  lisent en elle la fêlure de Guernica, blessure quasi génétique qui fait d’elle une femme séductrice et autodestructrice. Une éternelle insatisfaite si peu douée pour le bonheur qu’elle éprouve le besoin de troquer son prénom de Paz (paix) pour celui de Dolores (douleurs).

L’ouvrage se lit comme un roman d’aventure avec de-ci de-là quelques digressions culturelles bienvenues de la part de qui a en charge les pages Culture à l’hebdomadaire Le Point. Il livre ainsi une magistrale description de deux chefs d’œuvre : « L’hermaphrodite »  de Bernin et  « La femme piquée par un serpent »  d’Auguste Clésinger. La plume au service de l’œil et vice-versa.  Christophe Ono-dit-Bio nous emmène sous la ligne de flottaison au milieu des coraux, des gorgones et des squales.  Un étrange royaume d’à peine quelques lieues  sous la mer où le requin joue le dauphin des abysses du Grand bleu. Fatale hypnose. Le titre Plonger, à première vue déconcertant, exploite à bon escient tous les sens du verbe. Au propre comme au figuré. Dans la mer, dans l’oubli, dans l’abîme.

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