Par voie d’affichage

Par effet de calendrier, « 3 billboards » s’inscrit dans une tendance où la médiatisation n’est plus le fait des communicants professionnels. Une femme (Mildred Hayes) qui vit dans une campagne paumée des États-Unis décide de louer trois panneaux publicitaires afin de relancer une enquête sur la mort de sa fille, violée agonisante avant de mourir calcinée. En visant nommément le chef de la police locale, elle déclenche une réaction en chaîne et installe une tension qui va porter tout le film.

Le scénario de Martin McDonagh, facile à résumer en trois lignes, nous embarque sans peine. Même si ce long métrage peine à conclure et d’ailleurs il ne conclut pas. Chaque personnage est assez bien campé. Les dialogues -virils- portent comme un feu d’artillerie. À la table de mixage le réalisateur aux curseurs, dose avec habileté violence, émotion et humour en dépit de quelques touches caricaturales à moins qu’au contraire elles ne se situent en retrait de la réalité. Par moment, on se dit en effet que Martin McDonagh force le trait mais au pays de Trump et vu de la France il n’est pas toujours aisé d’évaluer.

Le propos du film va bien au-delà de la distraction qu’il fournit assez généreusement. Mildred Hayes, la mère en colère, brutale à souhait, nous interpelle assez justement sur notre époque. De nos jours lorsqu’une personne entend cesser de ruminer un malheur dans son coin, laissant le responsable d’une contrariété couler des jours tranquilles, se lassant d’une justice trop lente, d’un service après-vente aux abonnés absents ou encore excédée par une décision politique jugée inique, elle s’empare des réseaux sociaux afin de publier ce qu’elle estime être un méfait.

Dans l’histoire qui nous est racontée, il s’agit d’un crime. Non résolu, il n’est plus qu’un dossier qui prend la poussière. En louant trois vieux panneaux publicitaires pour 5000 dollars par mois, Mildred Hayes met le feu aux poudres. Elle saisit dans son silence coupable toute une population qui avait fini par ranger l’affaire sous le tapis, comme un peu de poussière indésirable sur le plancher. Si cela fonctionne sans pourtant aboutir, la médiatisation du meurtre ravive les consciences et réveille la morale.

En tapant du poing sur la table, Mildred Hayes provoque également quelques drames. Mais est-ce de sa faute si l’enquête n’a pas abouti? La vague de délation qui s’est emparée de Twitter nous vient évidemment à l’esprit. Elle a été excessive, piétinant des droits élémentaires. Mais est-ce la faute des dénonciatrices si elles ont eu à subir des comportements déplacés? Non plus.

Les communicants, le monde politique, la presse, ont perdu le monopole de la parole. La population s’est emparée de ce medium gratuit qui leur permet enfin de faire entendre leur voix forcément incorrecte. Au point qu’un président de la République a cru bon tout récemment de s’alarmer (menaces de sanction à l’appui) contre les « fake-news », ces nouvelles fausses (ou désignées comme telles), en tout cas dérangeantes et surtout hors de contrôle. Depuis quelques années dans chaque cabinet ministériel, au sein de chaque état-major d’entreprise, il y a quelqu’un voire une équipe entière qui surveille Twitter comme de la matière dangereuse, quitte dans certains cas à allumer des contre-feux.

C’est ce que « 3 billboards » met parfaitement en avant. Du reste le personnage du film ne « balance » pas vraiment. Le triple message de Mildred Hayes est une relance à l’adresse de ceux qui l’avaient oubliée, elle et son affaire non élucidée. Ce faisant son « cold-case » déborde, provoquant un certain nombre de dégâts, comme on en voit dans la vie réelle. Il va falloir faire avec.

PHB

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Cinéma. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Par voie d’affichage

  1. Philippe Person dit :

    Martin Mac Donagh est sans doute le réalisateur le plus prometteur du moment…
    « 7 psychopathes », le film qui a suivi l’excellent « Bons baisers de Bruges », laisse Tarantino à trois longueurs…
    Curieusement, Martin a un frère, John Michael, lui aussi réalisateur et scénariste, mais les deux n’ont jamais eu l’idée de jouer aux Coen ou aux Taviani…

Les commentaires sont fermés.