Un bain de déprime sur les plages anglaises

 Gens heureux, prenez donc un bon bain de déprime. L’occasion est trop belle de côtoyer sans s’y attendre, la misère, celle de l’interdiction de disposer de son propre corps. Je me suis laissé tenter par ce bain, j’ai plongé d’un coup. L’eau était glacée.

Au programme, «Never let me go», film réalisé par Mark Romanek. Assurément, pour le bain, les plages anglaises du Norfolk offrent un décor parfait au film, elles sont désertes et venteuses.

 La talentueuse critique nous recommande pourtant le film. A la condition d’aimer se faire mal. Alors que Le Figaro a apprécié la «poésie triste» de l’oeuvre, Libération a succombé à une «belle impression de malaise», en nous assurant que «le charme latent du film repose sur cette beauté un peu malade, presque inacceptable». Les Inrocks, un peu perdus, ont aperçu des «clinquantes photos-souvenirs fanées».

De quoi s’agit-il ? D’une fiction traitée comme une réalité, dans l’Angleterre des années 70 à 90, celle d’enfants clones destinés au don d’organes. Pour le bien de la médecine, car on nous apprend que l’espérance de vie de la population a dépassé grâce à cela les cent ans. Telle est l’unique raison d’exister de nos «héros», qui eux périront après deux ou trois dons. On les découvre dans une pension-prison, dirigée d’une main de fer par l’idéale Charlotte Rampling, ignorants de leur sort. Jusqu’à ce qu’une nouvelle enseignante ne leur divulgue la vérité. Mais rien, la vie reste un long fleuve tranquille à la pension Hailsham.

Le titre même du film laisse songeur. «Never let me go», est-ce la supplique d’un jeune donneur à son camarade d’infortune de ne pas le laisser mourir ? Las, les jeunes clones sont résignés, il n’est nullement question qu’ils puissent un jour échapper à leur sort. Tout juste croient-ils à une folle rumeur voulant que les couples, attention à condition qu’ils puissent prouver leur amour véritable, obtiennent un sursis.

Au menu de la pension, verres de lait et sport, esprit vide dans un corps sain. Accessoirement, dessin pour sonder l’âme des «détenus», qui portent au poignet un bracelet afin de pointer sans cesse, des fois que leur vienne l’idée d’aller voir ailleurs. Pas de danger pourtant, tous ont digéré les histoires macabres de ceux qui ont osé franchir les grilles de la pension.

La séquence des jouets, saisissante, montre à quel point les enfants sont hors du monde. Ils ont en effet ponctuellement l’occasion d’échanger des jetons de bonne conduite contre des jouets livrés de l’extérieur. Mais ces jouets ne sont que de vieux machins, poupées unijambistes, jeux de cartes fatigués. Mais l’enthousiasme des enfants est sincère. De quoi pour le spectateur éprouver une pitié certes un peu vaine.

Une fois dehors, lorsque les pensionnaires devenus jeunes adultes entament leur programme de dons, pas davantage de rébellion. Le «Programme national de dons» fonctionne parfaitement. Alors quoi, pas d’espoir ? Non. Il y a bien ce trio amoureux, un gars, deux filles, mais rien ne vient troubler l’ordre établi. Personne n’oublie jamais de présenter son poignet à la pointeuse.

La réalisation est pourtant soignée, les acteurs convaincants, avec notamment Carey Mulligan, déjà vue dans l’impeccable «Une éducation», les décors, les paysages nous entraînent dans l’Angleterre de nos voyages linguistiques, mais ça ne prend pas. On se résigne avec les donneurs. On peut se dire par contraste que nos vies sont heureuses, mais quel intérêt ? Ah quand même, si, celui de nous donner l’envie de partir découvrir ces plages sauvages.

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