Les visages lacérés de John Stezaker

La Whitechapel Gallery offre à John Stezaker la première grande rétrospective de ses oeuvres. Ses fameux collages disséquant de vieilles photos et des cartes postales anciennes nous entraînent dans un univers chirurgical et esthétique troublant.

John Stezaker aime la précision. La lame de son cutter ne tremble jamais. Et pourtant, il admet ressentir une certaine angoisse avant de passer à l’acte. A la manière d’un chirurgien, il dissèque de vieux portraits noirs et blancs issus de films des années 50. Parfois, il utilise son scalpel et laisse deux espaces vides à la place des yeux comme dans ce portrait d’homme qu’il intitule – à juste titre – « Blind ». Ou alors, il s’amuse du regard de cette femme en découpant une bande horizontale de ses yeux. Puis il la colle sur un tirage de son portrait qui n’a pas été touché. L’angoisse de l’artiste au moment du découpage se transmet au spectateur qui ne sait comment recevoir ce regard décalé, troublant. L’image s’appelle « Love ».


Mais la chirurgie esthétique de cet artiste anglais de 49 ans ne s’arrête pas à la manipulation de vieilles photos noirs et blancs. Dans la série « Mask », il découpe – toujours avec un extrême soin – des visages, les amputant de leurs yeux, de leurs nez ou de leurs chevelures et insère savamment de vieilles cartes postales colorées à la main. Les contours des visages brutalement coupés trouvent dans les paysages des cartes postales de nouveaux traits. Ainsi les yeux d’un couple qui se regarde deviennent les arbres d’une forêt s’ouvrant vers une vallée pleine de promesses.

Le résultat est troublant : comment ne pas s’empêcher d’imaginer à quoi les visages entiers de ce couple auraient ressemblé ? On s’insurge presque… Ils ont l’air si beaux. Comment l’artiste a-t-il pu ? Et puis on se laisse emporter par le surréalisme de la situation, par la beauté du paysage, la beauté perdue des visages et par leur beauté gagnée.


De la série « Mask » à la succession de photos microscopiques, de la taille de timbres postes qui ne sont autres que des photos d’inconnus dans la rue prises de loin, des photos volées et de voyeur, l’oeuvre de John Stezaker trouble et dérange. Derrière ses images, on visualise ses outils, ses gestes et ses dissections, impeccablement opérées, à la façon d’un meurtrier en série qui laisserait sur ses cadavres des blessures identiques perpétrées avec les mêmes outils. Mais pour le bonheur de tous, John Stezaker répare, transforme et embellit. Il donne une deuxième vie aux images dont il se sert et nous emmène aux frontières de la quatrième dimension. Libre à nous d’y pénétrer.

Jusqu’au 18 mars à la Whitechapel Gallery

 

Une vue de l'exposition par Elisabeth Blanchet

 

 


 

 

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