La vie démarquée de Claude Cahun au Jeu de Paume

Quand Lucy Schwob dite Claude Cahun est morte, sa compagne Suzanne Malherbe a continué un temps de prendre des photos, mais il n’y avait plus de personnages dans le cadre. Parce que sa vie durant, Claude Cahun, à laquelle le Musée du Jeu de Paume consacre une intéressante exposition, avait mis sa vie de couple au centre de son œuvre, bien que masquée la plupart du temps par une fascinante série d’autoportraits.

Contrairement à la tendance actuelle, Claude Cahun (1894/1954), faisait beaucoup de petites photos, d’un format comparable aux Polaroïds ordinaires. Cette native de Nantes, s’est mise en scène de multiples façons, avec une imagination et un talent captivants.

Claude Cahun, Autoportrait, 1929 Tirage gélatino-argentique 14 x 9 cm © Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris / Parisienne de Photographie

«Le mythe de Narcisse est partout, écrivait-elle en 1931, il nous hante. Il a sans cesse inspiré ce qui perfectionne la vie, depuis le jour fatal où fut captée l’onde sans ride».  Narcisse était un jeune homme dans la mythologie grecque et Claude Cahun se photographie plusieurs fois sous les traits d’un garçon, allant jusqu’à se raser la tête, pour les besoins d’une photo. Dans le documentaire vidéo un peu long mais instructif proposé par l’exposition elle y avoue même par le biais de la voix off quelque tendance à la domination.

Néanmoins les messages et significations qui ressortent de ses œuvres ne sont jamais limpides mais au contraire ambigus. «Neutre est le seul genre qui me convienne toujours» relatait-elle alors même que ses photos auraient tendance à démontrer sinon le contraire, au moins la tendance à voguer d’une rive à l’autre. «Il nous reste le rêve avait-elle aussi écrit en 1926, de délicieux soupçons – et tous nous sont permis –, d’inépuisables combinaisons de mensonges». Claude Cahun n’était pas que photographe mais de toute évidence aussi, un écrivain, qui adhérera au mouvement surréaliste. Son sens extraordinaire de la combinaison fait que ses écrits suggèrent autant d’images que ses photographies inspirent des lignes d’écriture.

La vie de Claude Cahun est en tout point étonnante et pas seulement parce que sa compagne deviendra sa demi-sœur par alliance après le mariage de son père avec la mère de Suzanne ce qui, on en conviendra n’est pas une situation des plus courantes. Claude Cahun était une femme intellectuellement évoluée ayant fréquenté ou rencontré des gens comme Robert Desnos ou André Breton. Elle avait élevé toutes les dualités complexes (objectivité, subjectivité, mouvement collectifs, revendications individualistes ou narcissiques) au rang d’un art de vivre ou, à tout le moins, d’un choix existentiel qui la rendait difficile à cerner.

Claude Cahun, Autoportrait, vers 1929 Tirage gélatino-argentique 24x19 cm Collection Neuflize Vie © Photo André Morin

Vers la fin des années trente, cette militante de l’équivoque, part s’installer définitivement à Jersey, l’île anglo-normande où elle se fera remarquer par son comportement fantasque. Ses photographies de l’époque sont toujours aussi créatives. Elles attestent également d’un bonheur de vivre et d’une complicité avec Suzanne Malherbe dont le nom d’artiste était parfois Marcel Moore. Dès le débarquement de l’armée allemande sur l’île en 1940, elles entrent en résistance active. Elles finiront par être enfermées à la prison de Saint-Hélier la capitale. Elles seront condamnées à mort. Leur maison qui s’appelait «La Rocquaise» et aussi «La Ferme sans nom» sera pillée et une partie de leurs archives sera détruite. Mais c’est la maladie de Claude qui finira par les séparer en 1954. Suzanne Malherbe lui survivra jusqu’à son suicide en 1972.

Les commissaires se sont sagement abstenus de titrer cette exposition autour de l’histoire d’une femme profondément originale. Une femme démarquée, sensible, libre peut-être, qui ne donnait certes pas dans la facilité en proclamant entre autres que «les réalités travesties en symboles» étaient pour elles des «réalités nouvelles dé­mesurément préférables». Des réalités qu’elle s’efforçait de «prendre au mot, de saisir » tout en accomplissant «à la lettre le diktat des images». Le propos n’est pas toujours simple, c’est sûr, mais il est irrésistible.

 Le site de l’exposition. Jusqu’au 25 septembre.

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Une réponse à La vie démarquée de Claude Cahun au Jeu de Paume

  1. BOUTON dit :

    Merci Philippe. Je mets ça dans mon programme d’été.

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