La riche musette du caporal épinglé

Il est bien rare que Jacques Perret fasse encore l’actualité. Il est mort voilà un moment. Mais il est vrai que les éditions le dilettante s’acharnent depuis quelques années, à publier des opuscules dont il est l’auteur. Les lecteurs de titres glorieux comme Bande à part, le Caporal épinglé, Ernest le Rebelle, Rôle de plaisance ou encore l’Oiseau rare, s’en réjouiront même si cela n’est plus exactement pareil. L’exhumation des fonds de tiroirs, bouteilles ou culots de pipe est cependant bonne à prendre.

«Dans la musette du caporal», il y a du bon. Les petits-fils de l’auteur né en 1901, Jacques et Louis Perret, ont récupéré des textes parus dans différents journaux ce qui permet de rappeler que Jacques Perret, bien qu’ayant exercé aussi de multiples métiers (de chercheur d’or à bûcheron), a surtout été écrivain et par moments journaliste.

«Dans la musette du caporal» se trouve une omniprésente odeur de poudre : guerre de 14, débâcle de 39, camps de prisonniers, Afrique du Nord… Jacques Perret ne s’est pas défilé, sauf en 14 bien sûr, car il était trop jeune. Mais il y a perdu son frère Louis, et le premier texte «La mort de mon grand frère» est l’histoire de cette séparation.

Quelques années plus tard, cette anecdote ne figurant pas dans le livre, Jacques Perret se perdra dans le bois guyanais, sans doute à l’initiative des maxililis, ces petits nains de la forêt dont l’amusement est d’égarer ceux qui s’y hasardent. Dans un de ses livres, Jacques Perret raconte qu’en désespoir de cause il appellera intérieurement à l’aide son frère disparu et, intervention céleste ou non, il finira par retrouver sa route. Mais c’est dire à quel point son grand frère comptait.

Précieux ouvrage que cette musette  avec notamment un caporal qui revient à Berlin peu de temps après la guerre, ville à partir de laquelle, il finira, après plusieurs essais, par réussir son évasion et regagner la France. Berlin qu’il arpentera comme «un vaste piège, quêtant les issues, flairant les coupures».

Sur l’emplacement d’un camp où il fut prisonnier, il a reconnu quelques corbeaux perchés sur des pylônes. «Visiblement, écrit Perret, ils attendent que repoussent les miradors, ils doivent savoir que les miradors ont des racines».

Le livre se termine par un tragique épisode dans le maquis car, après son évasion réussie, Perret rejoindra le maquis au milieu de gens dont il décrit avec son talent d’observateur hors pair le caractère hétéroclite, mais tous réunis par un besoin impérieux de se secouer face à l’occupant.

Il y perdra son copain de biffe  Ramos (la vie de Perret est jalonnée d’une série impressionnante de copains) qui pouvait lire l’avenir de la journée à venir dans les nuages ou le comportement des poulets. Lorsque le futur auteur de Bande à part, justement, lui demande le jour fatidique un pronostic sur la tranquillité immédiate d’un maquis truffé de soldats allemands, Ramos lui répond que les «poulets ont rêvé toute la nuit», mais qu’il ne sait pas «lire dans les songes des poulets».

Perret a été un honnête maquisard à l’en lire et c’est sûrement vrai. Dans Bande à part il raconte qu’un jour, étant parti en patrouille avec un camarade, leur chef les avaient enjoints de ne tirer qu’à «bon escient». Marchant sur les brisées d’une colonne allemande et s’interrogeant sur la nature du bon escient, ils ont surpris un soldat s’éloigner pour aller dans les fourrés soulager ses intestins. Perret et son compagnon l’avaient dans leur ligne de mire. Mais ils n’ont pas tiré et comme l’écrit Perret, le cas n’avait pas besoin d’être inscrit dans les conventions de Genève pour être compris. «On ne tire pas sur un homme qui débourre, c’est une évidence», la vérité leur était venue ainsi, simplement. Et son compagnon de patrouille avait conclu, en référence aux recommandations de leur chef, qu’en l’occurrence, le cas de ce soldat allemand était «un mauvais escient».

Voilà vous pouvez lire cet opuscule mais plus largement, vous pouvez lire Perret ses récits et ses contes, plus d’ailleurs que ses bouquins de (mauvaise) humeur dont l’énervement contagieux finit par gâcher la lecture. L’auteur du «Machin» est un formidable conteur, il manie la langue française avec un génie d’usage qui éclipse la plupart de nos auteurs les mieux vendus actuellement. Commencez donc par «Histoires sous le vent» ou par le «Caporal épinglé» vous verrez si j’ai tort.

Post-scriptum : J’ai eu le bonheur de rencontrer Jacques Perret au début des années 80. J’étais allé le voir chez lui et c’est sa femme, Nana, qui m’avait ouvert la porte. Il habitait un petit appartement à deux pas de la fac Jussieu et du Jardin des Plantes qu’il connaissait comme personne. Par la suite il y a eu quelques échanges de lettres que j’ai conservées. Sur la dernière, l’écriture était devenue chancelante. L’ancien plaisancier de la baie de Seine n’était pas loin de tirer son dernier bord.

 

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Une réponse à La riche musette du caporal épinglé

  1. jmcedro dit :

    Rien à dire, il n’y a pas comme un réac bougon au grand coeur pour faire chanter la langue française.

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