Sempé se tire d’embarras à l’Hôtel de Ville

Plonger dans une exposition de dessins de Sempé, c’est plonger dans un univers enchanteur à triple bande, comme seul il peut en créer. Sous les lambris de l’Hôtel de Ville où sont accrochés jusqu’au 12 février ses dessins et aquarelles, on pourrait voir surgir le petit Nicolas et sa meute de copains au coin d’un couloir, qu’on ne serait pas étonné. Le visiteur ne sait plus s’il est devant un dessin, ou dedans ! Sempé attire une foule dense de Parisiens, de ces badauds qu’il croque depuis 60 ans, et qui tous l’adorent.

On fait la queue dehors, et puis on piétine dans la bonne humeur, on rit, on pouffe, on se pousse du coude, on soupire, on pointe le nez vers une vitrine. «C’est léger, mais léger…», dit une dame à ma droite, prête à l’envol. «Tu crois qu’il a pris des cours de dessin ? Parce que là, sinon, chapeau ! Il est vraiment fort», demande une autre à ma gauche.

Détail d'une image extraite de l'album "Grand rêves" paru chez Denoël. Scan: Les Soirées de Paris.

On déambule en bande, et on feuillette, d’un étage à l’autre, l’album de famille de plusieurs générations, nourries au même imaginaire tendre et délicieux de notre dessinateur qui a même franchi l’Atlantique pour aller faire la Une du New Yorker, plus souvent qu’à son tour.  On vient retrouver Marcellin Caillou, Raoul Taburin, le marchand de cycles, Catherine Certitude, la jeune demoiselle en tutu créée avec Patrick Modiani, ou notre Petit Nicolas lancé avec René Goscinny. Et bien sûr on vient se gausser avec Monsieur Lambert qui discute encore comme dans les années 60, à la brasserie Chez Picard, d’artichauts vinaigrette et de politique, en se vantant un peu, sur ses nombreuses conquêtes féminines. 

Mais on vient autant pour s’attendrir que pour sourire. «Voulez vous m’épouser ?» demande un blaireau (ou un renard) à sa dame, devant l’Arche de Noë, tandis que des millénaires plus tard, son lointain cousin est présenté à la porte d’une villa comme un «teckel cruel», pour décourager le cambrioleur.  Sempé a fait de son humour un art consommé, à travers ce regard décalé, cette façon d’accrocher un détail qui résume ou absorbe tout le reste, et ses légendes déjantées. Il est particulièrement féroce avec les pédants de tout poil, passant en revue sportifs, musiciens, psychanalystes et philosophes du dimanche. «Je voudrais pousser une longue plainte jusqu’à 100 , 150.000 exemplaires» fait-il dire à une jeune Rastignac de l’édition. «L’humour, s’excuse Sempé, n’est qu’une façon de se tirer d’embarras sans se tirer d’affaire».

De Sud Ouest à «Ici Paris», en passant par L’Express, Pilote, Paris Match ou le New York Times, Jean-Jacques Sempé a conquis ainsi à peu près tous les  cœurs, avec ces personnages solitaires, tendres ou pontifiants, qui se promènent accrochés à leur pancarte en marge de la foule, ancrés à un banc de square ou accoudés à leurs balcons, à Paris, mais dans un Paris qui bannit l’urbanisme sauvage . « Je me sens beaucoup plus proche d’un temps où les autobus avaient des plateformes : c’était un enchantement », dit Sempé, dans une légende en applique sur un mur de l’exposition. Et on le croit bien volontiers à observer la solitude de ces citadins perdus dans des architectures arides, au milieu des gratte-ciels, jetant quelque perle à la foule :  « j’ai mal partout », annonce ce petit bonhomme sur un panneau, dans le flot d’une manifestation…

Quand on se retrouve sur le trottoir, après une heure de vagabondage dans l’univers poétique de Sempé, on est tout surpris de ne pas retrouver notre bonhomme en rouge, figé dans les lumières de la ville, celui là même qui franchit la Seine en se rengorgeant…

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5 réponses à Sempé se tire d’embarras à l’Hôtel de Ville

  1. ESBELIN Françoise dit :

    Un grand merci à Martine Esquirou qui a su décrire cette exposition de Sempé avec tellement de délicatesse et d’enthousiasme que la pauvre provinciale que je suis a cru déambuler devant les esquisses, dessins et aquarelles…
    Il y a une telle méticulosité dans l’expression du ressenti, au plus juste , que j’ai partagé un peu de son émotion. La finesse de l’analyse, va au-delà du trait , et nous emmène dans l’univers humoristique , acerbe et si tendre de Sempé .
    L’article donne vraiment envie de se déplacer !

  2. guillas dit :

    oui,un Sempé fidèle à lui meme,à travers ses illustrations…
    bcp de finesse dans son charisme…de fraicheur ,d’humilité et de gaieté…
    on ne peut en meme temps que saluer la plume de Martine Esquirou …meme son article donne l’impression d’etre tiré d’une de ses bandes dessinées….
    je ne manquerai pas d’ aller m’y engouffrer,dans cette exposition….

  3. Bruno Philip dit :

    Belle image à droite, joli texte, merci Mme Esquirou

  4. cat dit :

    Oui, tu écris bien, tu écris beau… et l’on se balance sur tes mots jusqu’aux dessins de Sempé dans lesquels on croit entrer par la magie du verbe.

  5. GERVAIS CLAUDINE dit :

    Bravo pour cette plume alerte, allègre, allusive (et néanmoins précise, alléluia ! ) qui épouse parfaitement le trait acéré, leste, de ces personnages aux mouvements ellipsoïdaux et aux propos elliptiques. Bravo aussi pour le titre, qui prend saveur et sens une fois terminée la lecture de l’article.

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