Nuit noire

Des boîtes de bière jonchaient le sol, là où elle s’était assise. Le cendrier était plein de petits mégots, les restes de ses cigarettes qu’elle roulait avec minutie du bout de ses doigts. Par la fenêtre ouverte, montait le brouhaha des bars en bas dans la rue quand les fumeurs sortent pour en griller une.

Elle s’était endormie accroupie comme une momie inca, elle s’était réfugiée dans l’autre pièce, le visage caché dans ses mains.

Je la regardais, « couche-toi, allonge-toi, essaye de dormir ».

Mes mots se perdaient dans les rires de la rue. Je refermai la porte dont le bas avait été déchiqueté par une étoile de violence à jamais dessinée.

J’aimais son sourire dans l’après-midi. Elle se plongeait dans mes mots, racontait les siens. Il fallait que je parte. Mais le soir, je suis revenu. Elle avait insisté, elle voulait encore me parler, m’écouter.

On s’était retrouvés au hasard de mes nuits. Elle souriait encore quand je suis revenu. Elle m’avait demandé de lui ramener des packs de bières. Il y avait aussi un traiteur en bas, un chinois  ou un vietnamien, peu importe d’ailleurs. Je remontais de quoi manger. Son frigo était désespérément vide.

La nuit était tombée, je me levai pour allumer une lampe, elle était cassée, comme arrachée du mur.

Une brutale explosion de mots me cloua alors sur place : «Pourquoi ? Pourquoi ? Un ex que j’ai rappelé ; d’autres avec ; le fer à repasser brûlant ; toute la nuit ; toute la nuit. »

Je savais, je voulais parler d’autre chose mais elle continuait : « Le matin venu, ils dormaient à moitié. Je leur ai proposé d’aller chercher des croissants ». Un rire qui n’était pas un rire défigura sa face.

C’est la police qui a ramassé ce vomi humain.

« J’ai peur, ils vont sortir, c’est de ma faute ». 

Mes mots ne servaient plus à rien. D’ailleurs, ma voix s’était asséchée. Petit à petit, elle se pelotonnait sur elle-même. 

« Pourquoi ? » murmura-t-elle encore. Puis tel un ressort, elle jaillit hors du salon, pour se recroqueviller dans l’autre pièce. On aurait dit une momie inca.

Je suis sorti, je n’avais plus de lit. La rue résonnait des rires des fumeurs sortis de leurs boîtes, de leurs flashes, de leurs lasers et de leurs musiques. Je rentrais dans un bar, trop de monde, je ne pouvais même pas ramer jusqu’au comptoir. Je ressors.

Un cri. Quel cri ? Un cri dans la fête ? Un cri dans le silence des appartements environnants ? Un cri qui résonnait dans ma tête.

Je remontais par l’étroit escalier des bonnes d’autrefois.

Elle s’était enfin allongée, elle dormait. 

Le chat et moi nous sommes regardés tout le reste de la nuit.

Puis d’autres bruits, les voitures qui se réveillent, une sirène de flic ou de pompiers, le pas pressé d’un travailleur de l’aube, la marche trainante d’un couple égaré. La nuit bleutée du petit matin. Les premiers oiseaux qui se racontent leur vie. 

Je pars.  « Salut le chat ».

Elle ne se réveillera pas avant ce soir. J’ai voulu lui téléphoner, elle allait aussi bien qu’elle pouvait aller.  Je l’avais rappelée ensuite. Mais c’était plus tard. Elle avait emmené le téléphone dans son grand nulle part. Un répondeur indiquait que le numéro n’était plus attribué. Du bout d’une autre vie, mon portable a vibré dans ma poche…

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