“Out of Focus” : provocateur et intrigant pour un titre d’expo. Faut-il s’attendre à des images volontairement floues, soigneusement ratées ? Non ! L’immense espace de la galerie Saatchi à Chelsea offre, pour sa première expo entièrement dédiée aux photos, un état des lieux hétéroclite et perturbant de la photographie contemporaine.
Lost in photography. Le terme “Out of Focus” s’applique, pour commencer, au choix des 37 photographes – ou plutôt des “praticiens de la photo” – dont les travaux sont à des années lumières les uns des autres. En entrant à gauche dans l’une des plus grandes salles de la Saatchi, c’est le travail de l’Américaine Katy Grannan qui saute aux yeux : des portraits “anonymes” d’hommes et de femmes marginaux, marginalisés, dont on ne n’est plus sûr ni du sexe ni de l’âge. Ils sont pris en photo, le long d’un mur blanc, sur un boulevard (c’est d’ailleurs le titre de la série). La lumière éclatante du soleil ne pardonne pas et la trop grande netteté des photos dérange.
Comment qualifier ce type de photographie ? Des portraits qui ont des allures de “street photography” mais qui n’en sont pas car ils ne sont pas pris sur le vif. Au contraire, il semble que les poses aient duré des heures. Du travail de photojournalisme sur les laissés-pour-compte d’une société américaine de winners ? Non plus : les cadrages et les lumières sont trop identiques, uniformes et “chiadés”. De la pub ? Vous rigolez. Qui “utiliserait” de tels modèles ? Quoi que… Benetton peut-être, du temps de son directeur artistique Olivero Toscani.
Lost in translation. Bref, vous l’aurez compris: dès la première salle, nous sommes perdus. Nos repères photographiques classiques n’existent plus. Alors, nous nous raccrochons aux branches. Ca et là, des images, des collages, des installations nous captivent et nous ressourcent : les “Dioramas” de Paris et de New York (collages méticuleux de petits bouts de photos en noir et blanc des villes, du Japonais Sohei Nishino, les “Filmstrips” de Jennifer West dont un de plusieurs mètres de long est déroulé dans une salle, ou encore les collages de visages “coupés au couteau” de John Stezaker.
Certaines pièces plaisent, saisissent, inspirent. D’autres laissent perplexes ou déplaisent. “Out of Focus” a des allures de grand déballage de photos, de collages et autres assemblages à base d’images, au fil conducteur définitivement et complètement flou.