Une chaudière incorrecte a disparu

Progressivement, un bout de paysage a disparu à Paris. Un gros bout de paysage industriel qui n’insultait pas spécialement le décor. Il était essentiellement composé de la grande enceinte qui celait en ses flancs une chaufferie alimentant en eau chaude quelque 600 000 foyers. Cela faisait de beaux volumes qui se miraient depuis le quai de la Marne dans les eaux du canal attenant au bassin de la Villette.

Aujourd’hui il n’y a donc plus qu’un trou avec un panneau de promotion immobilière annonçant la construction pour bientôt d’un ensemble immobilier résidentiel baptisé « Canal square ». Ainsi va la vie parisienne, du labeur au résidentiel en passant par le oisif et le conceptuel, qui a vu se transformer radicalement cet immense espace courant de la rotonde Stalingrad jusqu’au parc de la Villette.

Le paysage d'avant la destruction de la chaufferie, quai de la Marne à Paris 19e. Photo: Les Soirées de Paris

Cette évolution urbaine  qui concerne l’ensemble de la capitale  va en s’accélérant. Les usines Renault et Citroën ont disparu depuis longtemps tout comme la gare d’Orsay qui est devenue un musée. Quant aux quais de la Seine il est vrai beaucoup réservés aux automobiles pressées ils doivent céder (« rendre » selon l’élément de langage convenu) la place aux promeneurs.

L’heure est aux béatitudes parisiennes. Les terrasses sont désormais légions. Les espaces ludiques se multiplient dans une convivialité planifiée et encouragée. Pique-niquer n’est plus un casse-tête tellement il est facile de poser sa nappe un peu partout. On peut randonner dans les rues de la capitale en vélo de plus en plus aisément. Beaucoup de monde en profite.

Celui qui sort inopinément de son bureau aux heures de travail est toujours surpris par ce monde qui débat, piétonne, excursionne, visite, photographie, musicalise, occupe cette ville enfin. C’est Paris qui s’adapte à des loisirs peut-être forcés par l’absence de plein emploi.

En attendant et pour des motifs environnementaux, une part du paysage du quai de la Marne a été effacée. Durant la phase de démantèlement, les curieux ont pu observer les entrailles maternelles de cette chaudière aux dimensions pharaoniques. Et puis plus rien. Ne subsiste que cette modeste petite maison dont la pierre de façade nous laisse croire que l’on pourrait être sur les bords de la Gironde. Sa chance à elle était de ne pas poser de problèmes environnementaux et de pencher du bon côté du patrimoine parisien.

Seule cette petite maison a subsisté. Photo: Les Soirées de Paris (2005)

Il y a un tri d’effectué dans le paysage actuel qui correspond à une vision de Paris non laborieuse et exclusivement avenante.  Comme s’il y avait une antinomie, une incompatibilité entre le monde du travail et des loisirs. En banlieue la réalité visuelle semble moins calculée, moins préméditée. Et de fait plus authentique. Etrange phénomène.

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Architecture, Surprises urbaines. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Une chaudière incorrecte a disparu

  1. Bruno Sillard dit :

    Il faut bien admettre que depuis le massacre des Halles, on y regarde à deux fois avant de détruire une friche industrielle. Le 104 où l’aménagement du site des pompes funèbres est un exemple, les Grands moulins de Pantin un autre. Devant chez moi, de ma terrasse ( !) je vois une friche, des entrepôts en béton sur le canal de l’Ourcq, à la forme bizarroïde. Ils vont être réaménagés. Mais j’avoue que cette silhouette taguée m’est sympathique et parfois je me demande ce que cela aurait donné si on avait « réhabilité » les gazomètres comme on les voit sous la plume de Tardi, dans sa série sur les Mallet, par exemple…
    Cela dit c’est chouette de voir ce Paris-pique-nique-balade là, plutôt que le Paris-métro- boulot-bagnole des années 70.

  2. jmcedro dit :

    Constatant comme vous que Paris mue, je ne suis pas sûr que ce soit avec un dess(e)in précis, avoué ou caché, tel que faire de la capitale un lieu « avenant » par exemple. Je crois que la ville se débarrasse de sa vieille peau de serpent, bout par bout, difficilement, une écaille seventies par ci, un lambeau 19e par là, tout simplement au gré de besoins, lents mais inexorables : humains, sociaux, économiques et matériels. Nous sommes plus nombreux (pas tant que ça c’est vrai, intra-muros), plus exigeants (nous parlons de confort, pas d’esthétique), plus riches, et nos goûts changent. Pour ceux qui aiment, parfois, par moments, souvent, la patine des vieilles écailles, bien sûr, c’est un peu moins chouette…

Les commentaires sont fermés.