Gentil Rousseau, je te salue

Mon cher Henri, cela fait bien longtemps que nous n’avons eu de tes nouvelles, mon bon Douanier ! Maintenant que tu as rejoint le pays de tes rêves en couleurs, je profite du jour de ton anniversaire (tu es né un 21mai) pour te dire un peu ce qui s’est passé ici depuis ton départ.  Peut être as-tu été un peu déçu de voir aussi peu de monde à ton enterrement ; sept personnes seulement ont accompagné le convoi. Ne te formalise pas ; c’est que l’avis de tes obsèques est arrivé trop tard.

Il y avait quand même ceux qui t’estimaient le plus et qui t’aimaient : Robert Delaunay, le peintre qui t’a toujours défendu, ton bon ami Guillaume Apollinaire, que tu as si bien représenté en compagnie de sa muse Marie Laurencin, et M. Quéval, le propriétaire de ton atelier. Et puis tu sais que Delaunay a fait un beau geste : il t’a acheté une concession de trente ans au cimetière de Bagneux. Guillaume ne t’a pas oublié. Il t’a écrit un joli poème, celui là même que le sculpteur Brancusi  a gravé sur la tombe où tu reposes aujourd’hui.

Eh bien, depuis que tu es parmi les étoiles, on peut dire  que  ta célébrité n’a pas cessé de grandir. Figure-toi que l’on trouve tes tableaux dans les grands musées du monde, au Louvre, mais aussi à  Prague, à Bâle, à  Saint-Petersbourg  et même à New York ! C’est d’ailleurs en Amérique que l’on trouve aujourd’hui ta « Bohémienne endormie » que la ville de Laval n’avait pas voulu acheter. Quand je pense qu’à ce moment là, tu tirais le diable par la queue et que tu devais ta survie financière aux quelques cours d’art que tu donnais…

Il faut que tu saches que ta ville natale a fini par reconnaître ton talent. Tu vas peut-être rire quand je te dirai qu’il existe maintenant le « Lycée Henri Rousseau » ; mais ton copain de Laval, Alfred Jarry (qui s’y connaissait en blagues) se bidonnerait  encore plus d’apprendre qu’on a donné son nom à une école !

Tombe du peintre Rousseau à Laval. Photo: Gérard Goutierre

Tu serais bien heureux si tu revenais ici. D’abord, on a mis une grande plaque de bronze à la porte Beucheresse sur la façade de ta maison. On lit :  » Ici naquit le 21 mai 1844 Henri Rousseau dit Le Douanier, peintre populaire par son candide génie porté au rang des maîtres d ‘art français« . Pas mal! Et que trouve-t-on juste à côté de cette plaque ? La boutique des supporters de l’équipe de football. Cela t’aurait certainement enchanté, puisque l’un de tes plus beaux tableaux, c’est précisément « Les Joueurs de football »  .

Tel que je te connais, les compliments, ça ne t’aurait pas surpris.  On raconte que tu aurais dit à Picasso (un autre de tes admirateurs) qu’il y avait deux grands peintres de l’époque : lui « dans le genre égyptien « , toi « dans le genre moderne« .  On n’a jamais su précisément ce que tu voulais dire par le  » genre égyptien »… Ni même si tu as vraiment prononcé cette phrase. Mais ça ne fait rien. Pablo en a certainement été très content.

En tout cas, depuis que tu es parti, les visiteurs de Laval peuvent découvrir un musée dans lequel tu figures en bonne place. Ce n’est pas trop loin de ta maison. Tu y es en bonne compagnie,  avec d’autres artistes qui, comme toi, se sont fiés à  leur instinct. On appelle ça l’art naïf.  Mais je te rassure, c’est toi, mon bon Rousseau, qui reste le plus aimé. Et c’est pour toi, pour voir ta tombe, que des visiteurs se rendent spécialement à Laval. Parce que depuis 1947, c’est dans la ville de ton enfance que tu reposes, au sein d’un joli parc fleuri et arboré,  qui doit te rappeler le Jardin des Plantes où tu trouvais ton inspiration.

Certes, il manque les bêtes sauvages, dans ce Jardin de la Perrine, avec ses parcs à la française, ses parterres joliment colorés,  auprès desquels ta tombe est discrètement installée. Pas facile à dénicher d’ailleurs, malgré les petites pancartes fléchées.  Sur ta tombe, on trouve le poème dont je te parlais tout à l’heure, que Guillaume Apollinaire a composé pour toi dès 1911. Il l’a publié deux ans plus tard dans Les Soirées de Paris, il y juste cent ans, en avril 1913 :

Gentil Rousseau tu nous entends/Nous te saluons/Delaunay, sa femme, Monsieur Queval et moi
Laisse passer nos bagages en franchise à la porte du ciel/Nous t’apporterons des pinceaux des couleur des toiles/Afin que tes loisirs sacrés dans la lumière réelle
Tu les consacres à peindre comme tu tiras mon portrait/La face des étoiles
.

Gravé dans la pierre par le sculpteur Brancusi (que Guillaume écrivait Brancusy) et le peintre chilien Ortiz de Zárate, ce poème n’a été que très légèrement modifié,  et ainsi, en venant te rendre visite, on retrouvera la belle écriture et la signature du poète qui a rapidement pris ta défense, même s’il se faisait tirer l’oreille pour acquitter ses dettes à ton égard, comme pour ce fameux portrait où il est représenté avec sa muse.

Photo: Gérard Goutierre

Au dessus de l’épitaphe, on a laissé  le médaillon où tu es représenté de profil. Je me demande bien qui est ce Bracke qui signe :  « A l’ami Rousseau,  Bracke, 1890. » On ne t’y reconnait pas tellement, tu parais  si jeune : il est vrai qu’en 1890,  tu n’avais que 46 ans. Mais pour nous, tu n’as pas d’âge…

Oh bien sûr, elle demanderait un peu de nettoyage, ta tombe; lors de notre visite, les  grains de sable, les poussières de terre et les feuilles mortes ne permettaient pas de lire aisément le texte de Guillaume. Mais ça ne fait rien. Depuis ce Jardin qui domine la ville, tu dois te régaler les soirs de fête, lorsque les Lavallois participent aux réjouissances du Festival que l’on a nommé, tout simplement « La face des étoiles ».  Comme sur ta tombe.

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7 réponses à Gentil Rousseau, je te salue

  1. Philippe Bonnet dit :

    La newsletter des Soirées des Paris compte un abonné de plus ce matin, ça doit être lui. Merci Gérard Goutierre. PHB

  2. jmcedro dit :

    Merci pour cette lettre ouverte, nous espérons que la relation épistolière se poursuivra…

  3. Catherine Frémiot dit :

    Merci, Gérard, pour cette jolie lettre, un rien surannée…mais ô combien généreuse et tendre… mais quelles sont exactement les dates de naissance et de mort de l’ami Rousseau? J’ai dû lire un peu vite ce texte car je ne les retrouve pas.
    Merci pour le complément d’info. A très vite… CF

  4. Catherine Frémiot dit :

    né le 21 mai 1844… et mort en… 1947? à 103 ans? innnecrédibeulle! est-ce exact? Mon bon Gérard tu me flagelleras si je ne sais ni lire ni compter… CF

    • Gérard H. Goutierre dit :

      Né le 21 mai 1844, Henri Rousseau s’est éteint à l’hôpital Necker à Paris le 2 septembre 1910. Il fut d’abord enterré dans la fosse commune de Bagneux avant que ses amis (dont le propriétaire de son atelier Armand Quéval, le peintre Robert Delaunay, le collectionneur Wilhelm Uhde et Apollinaire) lui offrent une sépulture plus décente dans ce même cimetière, avec une concession de trente ans. Ce n’est qu’après la guerre, en 1947, que ses cendres furent rapatriées dans sa ville natale, grâce notamment à la veuve d’Armand Quéval et à l’association des « Amis du Douanier ». L’inauguration officielle de cette tombe eut lieu le 12 octobre 1947.

  5. de FOS dit :

    Emouvante et belle dernière demeure

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