« Vraiment » indolore

Scène d'anesthésie. Peinture offerte par un malade au Doocteur Jeanne Bonnet-Leobardy. Photo: PHBContre l’abus d’adverbes, il faut savoir pratiquer l’ablation. Et contrairement à ce que préconisait le chirurgien Alfred Velpeau vers 1840, la douleur est inconcevable. Si nous sommes tous d’accord sur le fait qu’à l’instar d’une peinture, le texte a une âme, le temps de la simple chose écrite que l’on pouvait traiter sans ménagement est révolu.

En prose ou en vers, une ablation de mot même bénigne, ne doit pas conduire à des souffrances inutiles. Un texte doit bénéficier des mêmes égards qu’un patient.

Si le diagnostic est posé, il faut opérer et, pour paraphraser quelque peu Tristan Bernard ou était-ce un autre auteur de théâtre peu importe (1), la chirurgie c’est comme les chiottes ou comme le cimetière, quand faut y aller faut y aller.

Pour ce faire le chloroforme a fait ses preuves. Comme le chantait Jacques Dutronc, il sert à clore la forme. Si la salle est bien ventilée il est par ailleurs inutile d’intuber, car le texte n’a pas, comme nous les humains, des voies ORL. Une fois l’ensemble de l’article bien mis à plat par une inhalation d’anesthésique raisonnée, le champ opératoire bien encadré par un jeu de compresses, le chirurgien grammairien pourra procéder à l’incision puis à l’excision. C’est la fonction ctrl+x sur les claviers, ou encore la touche « suppr », pour rappel.

Montreal Medical Journal, January 1906. Via Wikipédia

Montreal Medical Journal, January 1906. Via Wikipédia

Sauf pour rire, l’usage de la salle d’opération est parfaitement facultative, de même que le scialytique, cet immense plafonnier qui est en fait une marque déposée en 1919 par le professeur Louis Verain de la faculté de médecine d’Alger. Le mot est, comme Frigidaire, passé dans le langage courant mais pour finir, une bonne lampe de chevet suffira.

Allégé de son adverbe comme d’autres de la vésicule, on veillera à placer le texte dans la salle de réveil de son disque dur. Attention il s’agit là d’une intervention grammaticale ambulatoire. Il est rarement nécessaire de garder le texte alité. Si c’est seulement pour un adverbe, l’article est mûr pour être publié dans la foulée ou presque.

A noter que si l’on dépouille un paragraphe de tous ses adverbes, le sens est préservé. Un couscous sans épices (soit le rôle de l’adverbe donc) reste un couscous, on  retrouve même ainsi le goût de la semoule que l’harissa tue sans le rehausser. L’adverbe est adjuvant, accélérateur, temporisateur, péjoratif ou mélioratif. A ce titre, une dune reste sablonneuse même si elle est vraiment sablonneuse.

C’est pour cela qu’il est inutile de faire souffrir un texte s’il s’agit seulement de supprimer un adverbe. On préférera cependant l’anesthésie générale à un traitement local car les autres mots sont des spectateurs émotifs. La perte d’un seul mot fût-il simple adverbe n’en est pas moins le frère, le compagnon ou le voisin des autres.

Scène d'anesthésie. Offerte en remerciement par un malade au Docteur Jeanne Bonnet-Leobardy, médecin anesthésiste. Photo: PHB

Scène d’anesthésie. Oeuvre offerte en remerciement par un malade au Docteur Jeanne Bonnet-Leobardy, médecin anesthésiste. Photo: PHB

Enfin pensons au recyclage avant d’envoyer l’adverbe dans l’incinérateur avec les pansements rougis. Allégé de quelques lettres par microchirurgie endoscopique il fera souvent un excellent adjectif.

(1)   Dans « Le dernier métro » de François Truffaut.

 

 

 

 

 

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4 réponses à « Vraiment » indolore

  1. Tristan Felix dit :

    J’adore lire au petit matin de telles pièces.Voilà un texte métaphoriquement drôlement biennement filé, preuve que la métaphore n’est pas qu’une figure de style mais un état naturel de la langue. Supersupervielle disait en substance (j’ai la mémoire flanchante, hélas) qu’avant d’être une métaphore, un cheval qui se cabre est un cheval qui se cabre.
    Ce n’est cependant pas ce que j’entendais dire. J’eusse aimé lire, en regard, des exemples de textes ampoulés ou enguirlandés d’adverbes et d’autres tellement amputés de leurs articles, verbes et articulations qu’ils semblent des accessoires de luxe en loft, sur des pages-étagères vides. J’y pense… comme c’est curieux, plus un texte est amputé, plus il devient décoratif. Comment élaguer jusqu’à l’essentiel? Une juste mesure, qui est toute la fièvre d’un écrivain. J’y pense… et si l’accumulation d’excroissances n’était pas toujours une impuissance à dire mais un revêtement ignifugé contre les brûlures du magma poétique? Il est vrai qu’Orphée, lui, n’avait pas chaud aux yeux quand il s’est retourné. Au revoir! Merci pour ces échantillons de cervelle! Tristan Felix

  2. Ibanès dit :

    L’adverbe a mauvaise presse. « Cependant » , il ne sert pas qu’à noyer le poisson. Il met de l’huile dans les rouages, apporte « aussi » de la précision, contribue à la musicalité de la phrase. Que devient Proust sans l’adverbe? Et Claude Simon?
    « Ici » et « maintenant », j’affirme « à tue-tête » que j’aime l’adverbe. « Assurément »!

  3. jmcedro dit :

    L’adverbe a mauvaise presse, oui, mais la presse a de mauvais adverbes. Voire (parfois) de mauvais articles. C’est pourquoi cette salutaire invitation à alléger nos phrases sonne comme une solution à la crise de la presse : moins de mots, moins de texte, moins de pages, moins de gras, moins de charges. Une bien bonne idée (vraiment).
    « Jamais ce que l’on trace n’est suffisamment sec », en exergue. Gracq? je crois. j’ai oublié, pardon…

  4. Flourez BM dit :

    … et pour mémoire, l’inévitable :

     » Les journalistes ne doivent pas oublier qu’une phrase se compose d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Ceux qui voudront user d’un adjectif passeront me voir dans mon bureau. Ceux qui emploieront un adverbe seront foutus à la porte.  »
    Georges Clemenceau, rédacteur en chef de L’Aurore.

    Est-ce là la première neutralité journalistique ? il faut sans doute en discuter.

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