La bimbo et son berger

Source image: GoogleIls se marièrent,  ne furent plutôt pas heureux et il y a fort à parier qu’ils n’eurent pas beaucoup d’enfants même si l’histoire ne le dit pas… Voilà un roman qui ne perd rien à ce qu’on en raconte la fin parce que toute sa saveur, toute sa vitalité et toute sa bienveillance pour ses personnages sont à mille lieues des rengaines de contes de fées ou des romances à l’eau de rose.

Certes, c’est une histoire d’amour mais elle est teintée de beaucoup de ce que notre époque draine, et pas forcément pour le meilleur, comme les mirages de la célébrité télévisuelle ou la déshérence des zones rurales les plus isolées (ici, les montagnes du nord de l’Italie, mais c’est partout pareil). Elle est teintée aussi de pesanteurs plus classiques de la littérature : les fratries déchirées, les couples mal assortis, les violences familiales, même si l’auteur réussit à éviter, à peu près, tout pathos.

Marina Bellezza est l’une des deux protagonistes de ce roman éponyme. Elle dégage une énergie telle que chacune de ses apparitions fait vibrer le lecteur qui entend talons et portes claquer, qui voit le mascara couler et qui voudrait bien faire comprendre à cette bimbo dévorée par l’envie de célébrité que la vie est ailleurs que dans les télé-crochets des petites chaînes de télévision locales ou dans le vrombissant 4×4 de son agent artistique. Sauf que Marina, elle, n’entend rien de la sagesse ou de la compassion de ses lecteurs : elle leur inflige avec une détermination féroce sa soif de devenir connue, bien au-delà de la vallée de Biella et de ses podiums de centres commerciaux.

Et Marina a TOUT pour parvenir à ses fins. La nature l’a aidée : elle est belle à tomber et elle chante à la perfection dans le registre télévisuel des Rihanna, Lady Gaga et même s’il le faut, des bluettes italiennes. Et elle s’est forgée elle-même un corps de danseuse et le caractère d’une conquérante. Elle est parfaitement insupportable mais ne réussit pas totalement à être antipathique : non pas en raison de son histoire personnelle qui explique, en partie, sa voracité mais surtout parce que, aussi vain que paraisse son objectif, elle s’y consacre avec une résolution absolue qui confine parfois à la naïveté.

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Source image: Google/Liana Levi

Pour qu’il y ait histoire d’amour, il faut Andrea : rejeton d’un petit-bourgeois prétentieux,  Andrea renie tout de ce qui cimente aujourd’hui sa famille. Il veut être le désespoir de ses parents et c’est son plus grand succès : de parfait cancre, il devient parfait zonard traînant de fête de village en bar à putes accompagné d’amis fidèles et à peu près toujours bourrés – la première scène du livre est sublime – et, pour achever définitivement l’orgueil de son insupportable père, il devient berger. Le déclin social absolu selon les critères familiaux. La révélation rédemptrice pour Andrea.

Andrea le berger et Marina la reine des aspirantes à la gloire télévisuelle ? Un couple improbable qui, fort habilement,  ne prend pas le chemin trop facile du ver de terre amoureux d’une étoile. Leurs chemins se croisent dans d’inattendus instants de félicité. Alors qu’ils ont réussi à s’accorder, dans un moment de grande beuverie, sur leur prochain mariage, Andrea fait visiter à sa belle Marina la ferme dans laquelle il compte installer veau, vaches, cochons, couvées… Il est au comble de l’extase, émerveillé de la vie rupestre qu’ils vont y mener. Marina ? « En réalité, la seule chose qui l’intéressait à ce moment-là, c’était de savoir si l’endroit pouvait ou non servir de décor pour un clip. Un décor insolite, nouveau, provocateur, pour la vidéo d’une chanson inédite qu’on lancerait à Sanremo. » C’est tout l’art de l’auteur, Silvia Avallone, de rythmer les 500 pages de son livre des nombreux malentendus qui déclenchent les tout aussi nombreux épisodes de rupture entre ses deux principaux personnages.

Ce qui est intéressant, c’est la tendresse et la compassion de l’écrivain pour ses personnages, et pas seulement Andrea et Marina : elle prend un soin infini à faire exister les personnages secondaires, quelle que soit la brièveté de leur apparition. Elle tricote et détricote les rêves déçus, les aspirations insensées, les désespoirs inguérissables,  les amitiés aussi drôles qu’alcoolisées, dans un décor dont elle nous précise dans une note finale qu’elle le connaît parfaitement puisqu’elle en est originaire. Silvia Avallone a 30 ans et une puissance d’écriture et de sensibilité qui impressionne. Un regret tout de même : un titre qui ne dit pas grand-chose et une photo de couverture à la symbolique qui ne dit rien de l’énergie éclatante de ce roman.

« Marina Bellezza ». De Silvia Avallone. Ed. Liana Levi. Traduit de l’italien par Françoise Brun. 542 pages.

 

 

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