Dans la peau de Maria Callas ou les monologues du destin

Dans la peau de Maria Callas. Photo de couvertureElle était de ces natures qu’on dit n’être pas douées pour le bonheur. « Je me considère comme une créature du destin. Je n’ai pas eu à lutter pour que ce destin s’accomplisse« , lui fait dire Alain Duault dans le roman qu’il lui consacre sous le titre « Dans la peau de Maria Callas ». Un destin tragique : tous les opéras de la Diva ou presque racontent l’histoire de femmes consumées, Violetta, Tosca, Médée, Norma…

Melpomène, muse du Chant avant de devenir celle de la Tragédie, s’est très tôt penchée sur son berceau. Instillant le drame dans ses veines prédestinées de Grecque. Un physique ingrat, une mauvaise carte tirée à la grande loterie de la fratrie, un père intermittent de la scène familiale, voilà qui vous marque pour la vie. A cette boulotte disgracieuse aux épais hublots de myope, la mère préfère la jolie sœur. Et comme choisir, c’est  éliminer… Par la suite, la vie ne lui fera pas de cadeau hormis l’hommage du public. Et encore ! Il  lui reprochera ses caprices de star ; il n’oubliera jamais ce soir de janvier 1958 au Teatro dell’Opera  où sa désertion fit scandale. Et Rome ne sera pas l’unique objet de son ressentiment : il l’accusera d’avoir, en suivant un régime drastique, cloué le bec au rossignol qu’elle avait dans la voix. Humiliée, le cœur barbouillé du charbon de ses cils, elle finira sa vie en la ressassant dans les ténèbres d’une chambre aux volets clos.

Une fois décrite l’enfance malheureuse, voici les coups de cœur malchanceux de la cantatrice pour des hommes qui préféraient les hommes (Visconti, Pasolini), son mariage quasi morganatique avec un impresario de près de trente ans son aîné. Puis vient sa relation « amour-houleuse » avec son compatriote l’armateur Aristote Onassis. Aristote, un prénom dont  toute femme devrait se méfier. Elle qui se rêvait port d’attache de cet Hermès aux scandales palmées  enrage de le voir voguer vers une autre Aphrodite. On connait le lamento. Il n’empêche, Alain Duault fait revivre de l’intérieur les élans et les blessures de la cantatrice avec une sensibilité qu’on dit féminine et des détails hurlant de vérité. Ainsi quand il imagine Maria Callas chez Alexandre*, en état de sidération sous son casque : alors qu’elle feuillette un magazine people, elle vient de découvrir le script d’un mauvais film, Quand Ari rencontre Jackie… Zeus vient sur elle de diriger sa foudre.

En la faisant soliloquer jour après jour au soir de sa vie, l’écrivain rembobine le film de son existence. Chaque soir qui se rapproche de l’échéance fatale**, la recluse métamorphosée en  Narcisse sélectionne et réécoute ses enregistrements à n’en plus finir. S’abreuvant de sa gloire passée en sirotant des tisanes et en avalant des médicaments.  Ambroisie et nectar pour une déesse descendue de l’Olympe.

C’est une morte encore très vivante qui discoure dans le roman. Si bien que l’inexorable compte à rebours de cette destinée hors du commun se fait récit animé, prenant, efficace.  Homme de télé, l’écrivain livre ici le script d’un prochain « Un jour, un destin ».

Détail d’une photo de la Callas sur Google images. L’auteur en était Houston Rogers. Photo de l’écran: LSDP

Ce sont avant tout les rapports de la Diva avec son environnement lyrique qui  passionneront  les amateurs d’opéra. Metteurs en scène, chefs d’orchestre, partenaires, rivales, professeurs gravitent autour de l’étoile en orbites plus ou moins rapprochées.  On découvre ainsi  l’influence – réelle ou supposée – d’un Luchino Visconti  lui enseignant par le menu la gestuelle du rôle. Entre eux ce fut du sur-mesure compris à demi-mot. Proximité artistique à défaut de physique… Dans ce milieu d’initiés où le « cher » précède volontiers le prénom, le lecteur s’amuse à distinguer les préférences et inimitiés de la star. Le compositeur Léonard Bernstein a droit au « cher Lenny » ; le maestro Tullio Serafin accède au rang de propriété de la Diva ; Karajan, en revanche, la laisse tel  le marbre de Paros.

Sous les propos de Maria percent  les coups de cœur d’Alain même si le mélomane est trop respectueux de son glorieux sujet pour s’autoriser la moindre trahison à son endroit. Si bien qu’en livrant leur appréciation commune des enregistrements de la star – jugement de concert  – l’ouvrage, publié aux éditions Le Passeur, recèle quelques conseils pour l’acquisition du meilleur de la Diva…

* Célébrissime coiffeur de vedettes
** Maria Callas est morte à son domicile parisien à 53 ans le 16 septembre 1977

« Dans la peau de Maria Callas ». Le Passeur Editeur. 16,90 euros

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