La biographie cardinale

"L'aigle et la colombe" de Arnaud Teyssier. Photo: LSDPEn ce 22 décembre 1622, Richelieu se voyait remettre par Louis XIII, la barrette qui allait faire de lui un cardinal. Il avait 37 ans, le roi 21. La belle cérémonie a été malheureusement gâchée par les fièvres dont il souffrait et une crise d’hémorroïdes telle, que l’histoire en a conservé l’anecdote.  Richelieu, que ses ennemis appelaient « cul-pourri« , vivra et mourra malade. Il singularisera pourtant la fonction d’homme d’Etat au point que Colbert et bien plus tard Mendès-France ou de Gaulle s’inspireront de sa carrière et de ses préceptes testamentaires.

Sortie au cours de l’été 2014 la biographie (Editions Perrin) du premier ministre de Louis XIII, si elle ne prête guère à rire, est en bien des points passionnante. La stature de cet homme extraordinaire n’a pris son essor que grâce à Louis XIII et, s’il y a une chose que le roi avait bien comprise, c’était que son autorité ne s’exprimerait pas sans celle aussi raffinée que forte, de son super prélat. Assez magistralement, Arnaud Teyssier dépeint le talent politique de Richelieu et la carrière qui devait en découler. Seul (léger) défaut de ce livre de plus de 500 pages : le biographe écrit avec l’érudition du normalien.

Celui qui a un peu perdu de vue ses cours d’histoire au lycée, se heurtera parfois à la discrimination plus ou moins volontaire des grands initiés. Arnaud Teyssier évoque par exemple « la journée de dupes » comme si l’on en avait parlé la veille au 20 heures ce qui oblige le lecteur à de fréquents recours à des sources plus pédagogiques. Son « Aigle et sa colombe », ainsi qu’il a intitulé l’ouvrage, n’est en aucun cas un « Richelieu pour les nuls » mais pour un public averti ou soucieux de le devenir.

Tout au long ce pavé richissime en détails, Arnaud Teyssier se fait à la fois le biographe et l’avocat d’un homme décrié pour sa dureté et même sa cruauté. La plume de l’auteur nous convie à découvrir comment Richelieu saura creuser et imposer son sillon dans une France déchirée par les religions, la guerre et les conspirations. Sa stratégie, y comprend-on, repose sur la construction d’un axe fait de réciprocité indéfectible entre le jeune Louis XIII et lui-même et contre lequel, Marie de Médicis (la mère du roi), Gaston d’Orléans (le frère du roi) et autres conspirateurs ne pourront que se casser les dents.

Ce livre procède de la même austérité que le personnage central. Arnaud Teyssier entre peu dans l’intimité des protagonistes, mais ses incursions dans ce domaine apportent un éclairage bienvenu autant qu’étonnant, pour les non familiers de ce tout neuf dix-septième siècle. Ainsi, lorsqu’il est fait mention de l’affection du roi adressée par écrit à Richelieu, l’auteur croit bon d’en préciser l’absence d’ambiguïté tant l’inclination de Louis XIII pour les garçons était manifeste. Si les deux hommes s’aimaient et s’appréciaient, c’était d’avantage le résultat d’un pacte politique, lequel ne disparaîtra qu’à la mort du cardinal. Le roi quittera la chambre mortuaire en se bornant à faire une remarque sur le décor.

Richelieu par Philippe de Champaigne (1643). Source: Wikipédia

Richelieu par Philippe de Champaigne (1643). Source: Wikipédia

Cette plongée passionnante dans cette époque éminemment troublée a également l’avantage de nous renvoyer à la nôtre.

Et puisqu’il n’y pas d’amusement dans ce texte il devient possible de s’en trouver pour soi-même tant il ne manquerait pas de personnalités de nos jours pour monter les marches de l’échafaud ou plus simplement subir toutes les conséquences d’une disgrâce royale pour simple fait de lèse-majesté. Sous Richelieu, l’on pouvait d’autre part s’enrichir légalement aux frais de l’Etat et dans le même temps, comme le cardinal, participer aux finances publiques ce qu’il fera jusqu’à gager ses bagues.

Richelieu donne un sens terrible à la raison d’Etat et n’hésite pas à gouverner par l’exemple fût-il le châtiment capital. Le premier à en tirer profit est le roi Louis XIII qui parvient grâce à son mentor à s’émanciper d’une famille jouisseuse et très éloignée de l’intérêt général. Pour qu’il apprenne à régner sans faiblesse, Richelieu dans une de ses adresses, lui écrit notamment que « la douceur que Votre Majesté témoigne aux petites offenses attire les grandes ». De la part d’un homme portant la mitre, voilà un conseil qui pourra longtemps servir de viatique à son destinataire.

Dans ce livre, tout ce qui n’est pas solidement établi, est ravalé au rang de rumeur ou de médisance. Rumeur les liaisons féminines prêtées au cardinal, médisance le fait qu’il serait mort des conséquences d’une maladie vénérienne contractée dans sa jeunesse où pourtant une telle affection s’attrapait aussi facilement qu’un rhume.

Enveloppé de son drap de pourpre immortalisé par le peintre Philippe de Champaigne,  « Monseigneur l’Eminentissime Armand Jean du Plessis, Cardinal, Duc de Richelieu et de Fronsac, Pair de France, Grand Maître Chef et Surintendant général de la Navigation et Commerce de ce Royaume Gouverneur et Lieutenant général pour sa Majesté en ses Pays et Duché de Bretagne », soit l’inventaire de sa titulature après son décès en 1643 (à 57 ans), avait tout de la raideur d’un de Gaulle et aucun signe, même minime, de sex-appeal. Mais il figure jusqu’à aujourd’hui, dans cette taille très accentuée  par le pinceau de Philippe de Champaigne, le profil matriciel de l’homme d’Etat.

Dans son poème « Fantaisie », Gérard de Nerval avait merveilleusement écrit : « C’est sous Louis XIII et je crois voir s’étendre un coteau vert que le couchant jaunit.» Ce vers nous en laissait accroire sur la douceur d’une période de l’histoire mais Arnaud Teyssier, à travers la biographie de Richelieu, nous la recadre avec une rigueur que ne dénoncerait pas son personnage.

 

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2 réponses à La biographie cardinale

  1. jmc dit :

    Il culmine tellement haut, ce grand homme là, que l’on a du mal à le voir et le concevoir tout entier, et donc à discerner la passion de la France dans la raideur du ministre. C’est un peu le portrait d’Arnaud Teyssier, donc (à qui l’on doit aussi un solide Péguy), et c’est aussi le sentiment que l’on finit par retirer de la « biographie » de Richelieu dans les Trois mousquetaires. Les quatre fidèles hommes d’épée de Louis XVIII ont toujours (c’est le revers de leur statut de héros) mesuré la puissance, infiniment supérieure, de l’homme de robe. Mais c’est une puissance noire, jalouse du roi, néfaste à la reine, et dévoreuse de libertés. Alors, lorsque Athos reconnaît, devant d’Artagnan, la nature positive, pour l’Etat et pour le pays, de leur ennemi intime, on sait que le temps de la sagesse (celle de Vingt ans après, celle de la maturité) est venue.
    La sagesse du lecteur suit, son admiration envers l’homme d’Etat héritant du coup, c’est le génie de Dumas, de toute la charge négative des sentiments que l’on éprouva quelques chapitres plus tôt envers le « méchant ». Supériorité du roman, même historique, sur l’histoire ?…

  2. Steven dit :

    Devant un tel sujet on est prié de se tenir droit!

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