La littérature perd sa fanfaronne

Photo: Les Soirées de ParisDans son livre Mickey l’ange, elle orne le début d’un de ses chapitres par ce vers de Salomé (Alcools) : « Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste/En robe de comtesse à côté du Dauphin ». L’écrivain Geneviève Dormann qui vient de mourir était aussi l’auteur de la « Gourmandise de Guillaume Apollinaire », publié en 1994 chez Albin Michel.

Ce livre savoureux au propre comme au figuré puisqu’elle y retrace le poète sous l’angle du bien manger avec de nombreuses recettes de cuisine attribuées à l’écrivain, Geneviève Dormann confesse avoir découvert en 1949 l’auteur d’Alcools au pensionnat, par l’entremise d’une de ses amies, May.

Elle raconte également que lorsqu’elle était journaliste au Figaro Littéraire, elle avait longtemps côtoyé André Billy, l’ami d’Apollinaire mort en 1971 qui lui permit de fonder les Soirées de Paris en 1912. Mais elle ignorait alors qui était ce « vieux monsieur grognon » qui « l’intimidait » et s’en voulait encore de ne pas avoir profité de l’aubaine que constituait ce voisinage.

Geneviève Dormann ne faisait rien pour avoir bon genre. Née en 1933, elle appréciait l’alcool, les Gitanes sans filtre et probablement autre chose à la façon dont elle évoque l’herbe qui provoque des fous-rires, adorait tenir des propos politiquement incorrects sur la gauche, la droite, les juifs, les curés, les féministes, le point de croix (dont elle a fait un livre) et ne détestait finalement rien d’autre que tout ce qui pouvait ressembler à un système d’enfermement. Pierre Assouline rappelait dans un de ses articles que quelqu’un l’avait surnommée le « doberman ».

Tout cela relevait probablement d’un système de défense pour cette «fanfaronne » (titre de son second roman). Assurément rebelle, Geneviève Dormann était une jolie femme, éprise de la belle langue française et gourmande de la vie. Les personnages de ses romans lui ressemblent souvent. Ils sont passionnés et n’hésitent pas à distribuer des coups de pieds dans tout ce qui pourrait gêner leur trajectoire. La Fanfaronne, le Bateau du courrier, Mickey l’Ange sont de ces livres où les héros ne se laissent pas longtemps emmerder et savent larguer les amarres pour aller vivre leurs passions. Elle aimait la mer et avait notamment ses attaches à l’île d’Yeu. A la lire il y a incontestablement du vécu dans l’écriture de ses histoires ou quelque chose qui relève du fortement imaginé ce qui revient au même.

Signature de Geneviève Dormann. Photo: Les Soirées de Paris

Signature de Geneviève Dormann. Photo: Les Soirées de Paris

Vers ses trente ans selon quelques indices, elle s’était acheté, « Le Grand d’Espagne », un livre écrit par l’un de ses amis, Roger Nimier, qui comptait parmi les surdoués de l’écriture de l’après-guerre. Ce livre trouvé au hasard d’une brocante comporte quelques messages et indices. Il porte la signature de Geneviève Dormann et a probablement été acheté l’année de la mort de Roger Nimier, disparu accidentellement au volant de sa voiture de sport en 1962. La pointe mine de Geneviève Dormann a souligné tous les passages qui l’intéressaient avant de renoncer car rien ne sert de souligner s’il faut tout souligner comme l’a déjà écrit quelqu’un. Néanmoins son stylo s’est notamment arrêté en page 38 alors que Nimier cite Bernanos écrivant « Jamais, jamais, jamais, nous ne nous lasserons d’offenser les imbéciles… ». Voilà qui constituait une belle coïncidence d’écriture où trois bons noms de la littérature faisaient bivouac autour d’un accord de pensée.

Nul doute qu’ayant désormais retrouvé tous ses amis y compris ceux qu’elle n’a pas connus mais fait siens, Geneviève Dormann peut fanfaronner en paix.

PHB

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Une réponse à La littérature perd sa fanfaronne

  1. Steven dit :

    Un bel hommage, bienvenu. S.

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