Balzac, le néoplasticien

Détail d'un brouillon de Balzac. photo: Les Soirées de ParisS’il fallait un seul justificatif à cette exposition intitulée « L’écriture dessinée », ce serait l’admirable brouillon d’écriture d’Honoré de Balzac, élément permanent de la belle maison qui porte le nom de l’écrivain dans le 16e arrondissement. Sur ce brouillon, Balzac se laisse aller à griffonner, notamment une petite Joconde qu’il ceint d’une paire de moustaches comme devait le faire plus tard le méta artiste Marcel Duchamp soi-même.

Autant le préciser tout de suite, visiter cette exposition nécessite un cerveau fonctionnant à sa valeur nominale. Les œuvres sélectionnées sur les cimaises de la Maison de Balzac relèvent de l’écriture plasticienne, c’est à dire celle qui se lit deux fois, par le graphisme d’abord et par les lettres ensuite du moins quand on les décèle.

La thématique, construite autour de l’auteur de la « Comédie humaine », n’est pas sans rappeler le mouvement international CoBra (1), mais c’est voulu. Ce mouvement « accorde à l’écriture et à sa spontanéité une place de premier plan » dans la mesure où elle fait ressortir le psychisme de l’individu, c’est à dire le contenu de nos tiroirs enfouis.

Une fois bien assimilé ce préambule, l’on peut se laisser aller à vaquer dans les différentes pièces de cette maison dont le beau style provincial est devenu insolite à Paris. Outre la robe de chambre de l’écrivain admirablement figée par Rodin, des portraits de Balzac par Picasso, Cocteau ou Giacometti, figurent les très intéressants logogrammes de Christian Dotremont (1922/1979).

Loogramme de Christian Dotremont. Photo: LSDP

Loogramme de Christian Dotremont. Photo: LSDP

Ce dernier peint des textes comme cela lui vient, à l’encre de Chine sans contrainte de lisibilité mais il juxtapose au crayon un sous-titrage bienvenu. Il en résulte de belles œuvres graphiques, à double signification donc et par conséquent d’un double intérêt. Avec les moyens techniques modernes, on devrait pouvoir corser le système.

Cette exposition nous en apprend sur Balzac du moins pour ceux dont la connaissance de l’écrivain reste à parfaire. Lassé de l’insuccès de sa production littéraire, il rachète, à 27 ans, une imprimerie, puis une fonderie de caractères. Avant qu’il ne retourne à la plume pour cause de faillite, il en résultera les trois pages exposées sur la « Physiologie du mariage » où Balzac s’amuse avec la typographie, préfigurant en cela le mouvement Dada. A noter que la vision des rapports conjugaux par Balzac était si en avance pour son temps qu’elle en était incompréhensible pour ses contemporains encore dopés à la dot et donc assez largement rustiques sur les sentiments modernes.

Au sous-sol on trouvera des eaux fortes de Pierre Alechinsky (né en 1927) illustrant avec un brio certain le « Traité des excitants modernes » par Balzac, soit l’alcool, le thé, le café, le tabac. Sauf erreur c’est à cet étage que figure également une œuvre remarquable, teintée de psychédélisme en faisant de l’encre ce que l’on tire d’habitude en rêve des substances illicites. C’est assez bien vu.

On ne peut pas tout révéler ici de cette exposition très réussie et d’autant plus riche qu’elle concentre ses trésors dans les pièces étroites de cette maison définitivement attachante.

PHB

(1) Sur le même sujet par Gérard Goutierre

Maison de Balzac, 47 rue Raynouard 75016 Paris, du mardi au dimanche de 10h à 18h. Jusqu’au 21 juin.

Vue d'un brouillon de Balzac. Photo: Les Soirées de Paris

Vue d’un brouillon de Balzac. Photo: Les Soirées de Paris

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