Dans les jupes d’Isabelle Huppert, un Marivaux virevoltant

Les fausses confidences à l'Odéon. Louis Garrel et Isabelle uppert. Photo: Pascal VictorAujourd’hui, il y aura en nous quelque chose du fétichiste. Après deux heures magistrales de Fausses Confidences au théâtre de l’Odéon, nous reste la blancheur et la mousseline d’Isabelle Huppert, les montagnes de chaussures à talon, les flots de champagne. Superficialité ? Non car sous les jupes des filles, c’est le mystère amoureux qui se trame. Perchée sur ses hauts talons, la comédienne chancèle souvent, court avec difficulté, en un mot : vacille.

C’est bien cela les Fausses Confidences, le délicieux et pourtant douloureux vacillement de deux êtres. Rien de nouveau sous le soleil Marivaudien ? Dorante, jeune homme bien fait mais sans le sou est amoureux d’Araminte, veuve aisée, hésitant à se remarier. Autour d’eux, une myriade de valets, belle mère et prétendants qui tissent leur filets de paroles mensongères, complots langagiers de tout bois, pour décider la belle Araminte à trancher. Elle se débat et tente de faire avouer à Dorante ses sentiments dans une scène magistrale où l’on attend, nous aussi transis, que les mots jaillissent de l’un ou de l’autre. Cet art de la censure, de l’empêchement, Luc Bondy en a fait son maître mot. Une jupe sirène au premier acte entrave les mouvements d’Isabelle Huppert et, geste volontaire ou heureux hasard d’un soir, l’actrice marche sur sa robe et trébuche légèrement du haut de ses talons noirs. Après l’aveu, c’est une ample robe blanche qui donne forme au fleurissement amoureux. La jupe vous dis-je !

L’empêchement, l’aveu infiniment retardé, la lutte (parfois cruelle) contre soi-même et l’autre font tout notre plaisir. On se surprend à se laisser glisser dans nos fauteuil quand une fois de plus Dorante noie le poisson de son amour dans quelques détours absurdes, on regarde nos voisins pour chercher d’obscurs appuis dans ce suspens infini de l’acte II. On se tend et se relâche quand enfin éclate le rire et l’hystérie de l’aveu. On aurait presque envie de donner une grande claque dans le dos du même voisin qui n’en demande pas tant. Comment Luc Bondy réussit-il à nous engager dans ce qui pourrait n’être qu’une frivole histoire d’amour et d’argent ? La trouvaille est peut-être dans cette lumière allumée dans la salle pendant tout l’acte I et jamais complètement éteinte ensuite. On est avec la scène et on est dans la salle où quelque chose continue de se vivre, en écho ou en écart avec le représenté. On adhère au spectacle et on garde une forme de distance qui fait tout notre plaisir.

Louis Garrel et Isabelle Huppert dans les Fausses Confidences. Photo: Pascal Victor

Louis Garrel et Isabelle Huppert dans les Fausses Confidences. Photo: Pascal Victor

En face d’Isabelle, légère, légère, Louis Garrel, tout d’un bloc dans le rôle de Dorante. À la sortie du théâtre, on entendra bien sûr les traditionnelles critiques. L’acteur est avare d’expressions faciales et semble garder une certaine réserve, même dans les moments d’enthousiasme amoureux. Et pourtant quelque chose de cette réserve touche juste. Car après tout, Dorante est aussi ce personnage manipulé par son valet, support du désir des unes et des autres, surface de projection en somme comme peut l’être d’une certaine manière l’acteur Garrel.

Comment ne pas parler pour finir, de l’ équipe formidable de comédiens entourant notre duo ? Jean-Pierre Malo, Comte estimable et lucide, nous séduit. Yves Jacques et Fred Ulysse font de savoureux valets qui nous donnent des moments de franche comédie. Bulle Ogier en belle mère incisive et méchante, nous fait hurler de rire.

À la fin de la pièce, Dorante et Araminte, gisent, comme deux pantins désarticulés. Ils sont épuisés de la victoire arrachée de haute lutte. Quant à nous, nous sortons avec une énergie de fauve ; amoureuse, amoureuse : du champagne, des vestes cintrées de Dorante et des jupes de mousseline blanche

Tiphaine Pocquet du Haut-Jussé

Les Fausses Confidences de Marivaux, mise en scène Luc Bondy, Théâtre de l’Odéon, 6e, jusqu’au 27 juin.

Signalons également deux rencontres philosophiques dans ce même lieu, le samedi 30 mai, 15h : Les Petits Platons (rencontre pour jeune public à partir de 8 ans) et Politique de la pensée (rencontre animée pat Raphaël Enthoven, sur Marx, Comment être matérialiste et révolutionnaire à la fois).

Les Fausses Confidences à l’Odéon. Photo: Pascal Victor

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4 réponses à Dans les jupes d’Isabelle Huppert, un Marivaux virevoltant

  1. person philippe dit :

    Jouvet disait que « Les Fausses confidences », c’était l’histoire d’un hold-up… Celui de Dorante qui n’est rien au début de la pièce et est tout à la fin… Louis Garrel n’est pas du tout le personnage…
    Pas plus que Huppert qui, même si elle porte assez bien sa soixantaine, n’est pas la jeune veuve de la pièce… et qui balance le texte approximativement alors que c’est une merveille à dire et à écouter…
    Bondy, comme à son habitude, aligne les contresens, transforme Marivaux en Tchekhov…
    Tout est faux, ici. Sauf le champagne qui coule à flots… On comprend pourquoi Huppert et Depardieu sont faits pour s’entendre…

  2. Steven dit :

    Je ne sais pas ce que vaut la pièce mais la lecture de la chronique du jour est bien savoureuse. S.

    • de FOS dit :

      Parfaitement d’accord avec ce commentaire. La jupe, vous dis-je, m’a bien fait rire.

  3. VAM dit :

    Bravo. La chronique donne envie de se laisser aller à ce plaisir que son auteure a ressenti en l’écrivant, après avoir vu ce Marivaux là. C’est assez que de nous donner déjà à vagabonder. Et la pièce en vaut bien une autre c’est ce que l’on comprend.

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