Bien née au kibboutz

"nous étions l'avenir". Photo: LSDPSur la couverture de son livre, la jolie Yaël fume et c’est normal car dans le kibboutz où elle est née, fumer était un tel art de vivre que d’une personne décédée l’on disait : « elle a cessé de fumer ». Paru en 2015 chez Actes Sud (2011 pour la version originale), « Nous étions l’avenir » est le récit de la vie expérimentale menée dans un kibboutz. Un livre très attachant, très bien écrit, qui raconte l’enfance de l’auteur, née au pied de la citadelle Saint-Jean d’Acre au kibboutz Yehi’am.

Fumer écrit-elle, était comme « une langue supplémentaire » qui permettait de faire le lien entre des personnes d’origines différentes notamment hongroises. Née en 1960, l’auteur a vécu jusqu’à la fin de l’adolescence cette expérience communautaire à l’esprit socialiste affirmé. Elle en retrace les débuts acrobatiques, antérieurs à sa naissance, où l’on faisait venir la terre par camion pour rendre le terrain caillouteux fertile.

Bien qu’elle finisse par s’émanciper d’une expérience elle-même émancipatrice, son récit est entièrement fait de souvenirs heureux. Symptomatiquement, Yaël Neeman raconte à la première personne du pluriel, cette vie collective séparée de ses parents, relégués au titre d’êtres « biologiques ». Les enfants devaient chaque jour rendre visite à leurs géniteurs mais on leur apprenait à vivre entre eux, filles et garçons réunis sous le même toit.

La vie au kibboutz apparaît comme un univers codifié où les tâches sont soigneusement réparties et les instructions parfois délivrées avec humour. Ainsi, une puéricultrice écrit au garde de nuit  après le « shalom » de rigueur : « Zabara est malade, elle va sûrement pleurer cette nuit (le lit en face de la porte). Donne-lui une bougie. N’oublie pas que ce n’est qu’un bébé, et que les règles que tu as autrefois apprises au lycée agricole sont uniquement valables pour les génisses (…) ».

Extrait du livre. Photo: LSDP

Extrait du livre. Photo: LSDP

Agrémenté de photographies d’archives de l’auteur, ce livre permet de se faire une bonne idée de cette existence particulière où les enfants apprenaient le goût de la liberté. « Du fait de l’autonomie et de la démocratie des jeunes, se souvient-elle, nous faisions ce que nous voulions et ne faisions pas ce que nous ne voulions pas. Ainsi, nous ne ne prenions pas de douche tous les jours, ni faisions notre petite lessive quotidiennement, ce qui est un euphémisme ». Elle évoque dans cette veine le cas de Tom qui avait affiché « le contraire » au-dessus de son lit pour mieux se remémorer qu’à chaque occasion il fallait prendre le contre-pied d’un sens indiqué.

Ce récit est attachant autant qu’historiquement instructif. Il s’inscrit dans une époque où le communautarisme à objectif plus ou moins autonome allait connaître une vaste embellie de par le monde à la fin des années soixante dans la mouvance hippie. Dans tous les cas l’idée a vécu. Mais enfin Yaël Neeman décrit avec beaucoup de justesse cette ambition finalement humaniste qui lui laisse de toute évidence, aujourd’hui encore, une forte empreinte et dont l’un des socles était le vivre ensemble, concept à forte portée au Moyen-Orient comme ailleurs.

PHB

Yaël Neeman. « Nous étions l’avenir ». Editions Actes Sud. 22,50 euros.

 

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