Le jour où la cavalerie n’arriva pas

Photo: PHB/LSDP« Par ici, mesdames et messieurs, entrez vite, entrez bien, il y aura de la place pour tout le monde. Par ici, mesdames et messieurs, vous allez assister à la bataille de Little Big Horn, un spectacle inoubliable que vos enfants raconteront à vos petits enfants… »

On en parle encore de ce Wild West Show, ce spectacle de l’Ouest sauvage dont Eric Vuillard nous raconte son histoire, celle aussi de Buffalo Bill dans « les Tristesse de la terre (Actes Sud) ». Une manière aussi de raconter une histoire, celle de la naissance d’une nation, qui disait qu’un bon indien était un indien mort. Maintenant, on les appelle les « Amérindiens », sans qu’il soit certain que ce soit pour solde de tout compte.

Nous sommes en 1893, et les Etats-Unis fêtent les quatre cents ans du voyage de Christophe Colomb avec le sentiment de la mission accomplie. Au sud les Espagnols ont massacré tout ce que le continent comptait de peuples, Incas ou Quechuas, Mayas et Aztèques. Au nord, ce furent les Sioux, Apaches, Cheyennes et tant d’autres qui périrent dans les nuages blancs de la poudre noire. Et quand il n’y eut plus d’indiens à tuer on joignit l’utile à l’agréable. L’utile c’était de prendre le train cap vers l’ouest où tout était possible et l’agréable, c’est-à-dire tirer depuis les wagons sur les millions de bisons, comme ça, pour rien. Le train passait laissant des milliers de carcasses pourrir dans la prairie.

En 1893, 21 millions de visiteurs sont venus visiter leur histoire dans l’exposition universelle de Chicago. Revisiter plutôt. Ils se perdent dans une ville de pacotille avec son architecture de décors de théâtre, ses arches et ses obélisques.

« Par ici, mesdames et messieurs, derrière ce rideau, le vrai, l’unique, venez voir le cadavre séché d’un nouveau-né indien… ». L’homme qui harangue fait également partie de l’équipe du show. Avec ce spectacle qui veut raconter l’histoire de l’Ouest américain, le Wild West Show draina dix-huit mille spectateurs par représentation, il y en a eu jusqu’à deux par jour. Buffalo Bill qui s’était illustré au tir aux bisons où il emmenait ses clients, avait mis sur pied son spectacle dix ans auparavant. Au début sans doute une succession de saynètes que des batailles reconstituées viendront progressivement enrichir. Des chevaux qui galopent, les winchester qui enfument l’immense scène, des cavaliers qui tombent morts… pour ressusciter ensuite. Le Wild West Show a inventé les « Sons et Lumières » et aussi les spectacles de nuit !

Mais Buffalo Bill a compris une chose, ces Américains qui venaient en foule, ces Américains pour qui l’achat de billets était loin d’être anodin, prenaient place avec une idée en tête, voir des indiens.

Source image: Gallica

Source image: Gallica

Buffalo Bill savait que montrer des artistes ou des acrobates, même de talents n’aurait pas suffi pour assurer la pérennité du spectacle. Un bon indien allait être celui qui signerait un contrat avec le show. Un premier coup qui fut un coup de maître. Il alla chercher dans les réserves, là où on les avait jetés, ceux qui avaient fait reculer la cavalerie américaine, les vainqueurs de la bataille de Little Big Horn en juin 1876. 263 hommes du 7ème de cavalerie y trouvèrent la mort, les Amérindiens ont eu, de leur côté, entre 60 et 100 tués. Le lieutenant-colonel George Armstrong Custer ainsi que le chef cheyenne Lame White Man furent tués. Cette bataille eut un grand retentissement dans l’opinion publique américaine, et conduisit au massacre de la Wounded Knee Creek par le 7e de cavalerie, quatorze ans plus tard.

Mais retour en 1885. Un indien entre dans l’arène, Sitting Bull, le vainqueur de Little Big Horn, seul sur cette immense scène, au début le silence puis les premier sifflets, il n’était pas prévu une mise en scène quelconque, la foule crie, crache, Sitting Bull est impassible, il effectue son tour de piste et sort lentement de scène sous une incroyable huée. Il a rempli son contrat, cinquante dollars par semaine, des bonus, dépenses couvertes droits sur photos et autographes. Il sera abattu en 1890 par la police indienne, le chef Sioux avait passé le costume qu’il portait sur scène.

En 1889 et en 1890, un mouvement religieux, « La danse des esprits » se répand dans les réserves des Sioux. Sitting Bull soutient les danseurs. En décembre, les Américains chargent Buffalo Bill d’un message visant à ordonner l’arrestation de Sitting Bull. Celui-ci arrive à la réserve complètement saoul et l’opération est retardée. Le 15 décembre 1890, au matin, la situation devient confuse. Sitting Bull se débat et le policier placé derrière lui tire une balle dans la nuque. Sitting Bull fut tué par Bull Head, lui-même tué par Catch the Bear. Outre Sitting Bull et son fils, sept partisans et cinq policiers perdirent la vie ce jour-là. Seule l’arrivée de la cavalerie sauva la police indienne.

Le Wild West Show continua, on le retrouva en tournée en France et en Europe. Les parcs Disney présentent un spectacle sous ce titre. Il prendra une saveur particulière après avoir lu ce petit mais passionnant bouquin d’Eric Vuillard.

Bruno Sillard

 

Photo: PHB/LSDP

Photo: PHB/LSDP

Tristesse de la terre/Eric Vuillard/18 euros/Actes Sud

A voir également le film de Robert Altman/Buffalo Bill et les indiens

Lien 1Lien 2

 

 

 

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Histoire, Livres. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Le jour où la cavalerie n’arriva pas

  1. person philippe dit :

    Eric Vuillard est aussi l’auteur d’un très beau film sorti discrètement l’année dernière, un « western » minimaliste tiré de Prosper Mérimée : Matéo Falcone (voir ma critique en faisant sur google « Matéo Falcone Froggy’s delight »)…

  2. de FOS dit :

    Quelle rétrospective, merci Bruno !

Les commentaires sont fermés.