Saint-Germain-des-Prés désossé

L'invention de Saint-Germain-des-Prés. Ercic Dussault. photo: PHB/LSDPProbalement en 1947, Boris Vian s’aperçoit avec « une stupeur désarmante » qu’il a oublié de faire sa déclaration d’impôt. Dans un style frivole, joyeux, excluant toute repentance, il conclut sa lettre au percepteur qu’il présume « doux et affectueux » par: « Avec une grosse bise, je vous prie d’accepter mes remerciements ». Ce texte est extrait d’un rapport d’une police qui constituait alors des dossiers sur les éléments subversifs de Saint-Germain-des-Prés.

« L’invention de Saint-Germain-des-prés », écrit par Eric Dussault et sorti cette année aux éditions Vendémiaire, s’applique à désosser un mythe souvent présenté comme le creuset du jazz et de l’existentialisme, pseudo-miroir d’une existence affranchie et décadente, dans les années quarante et cinquante. La méthode tout comme l’écriture de l’auteur, est assez universitaire mais convaincante, tant le livre puise dans de nombreuses archives et témoignages.

Il en ressort que beaucoup d’artistes et écrivains, de droite comme de gauche, ont contribué à mitonner une fable au final pas toujours aimable, avec des relents d’homophobie, de drogues, de bagarres, prostitution et l’idée que commerçants et médias ont pratiqué une sorte de concertation objective relevant d’un procédé marketing avant l’heure.

La focale est étroite mais la collecte de documents d’une police passablement inquisitrice, d’articles de presse, de témoignages de cinéastes, d’écrivains ou de journalistes, étayent une thèse qui se veut dès le départ assez sombre. Sous la plume de Eric Dussault, les légendes tombent, comme celle qui ferait de Jean-Paul Sartre un habitué du Tabou, la boîte à la mode de l’époque. L’écrivain trouvait surtout qu’on y était « mal assis » et que les orchestres résonnaient « un peu trop ». L’acteur Marc Doelnitz déclarait de son côté qu’il y « faisait chaud », que « ça sentait le moisi » et qu’il y avait de la « viande saoule ».

Dans son préambule, Eric Dussault dénonce un conte « façonné par les médias » et ayant abouti à un quartier devenu hors de prix. Soit, conclut-il, un « microcosme parisien parmi tant d’autres ».

Photo: PHB/LSDP

Photo: PHB/LSDP

Pourtant et c’est peut-être là la faiblesse ou les limites de l’ouvrage, le quartier saint-Germain-des-Prés perdure bel et bien avec ses codes, ses parfums et ses acteurs. Il y a eu Montmartre puis Montparnasse puis Saint-Germain-Près, secteurs auxquels on pourrait ajouter de nos jours des endroits comme le Canal Saint-Martin ou celui des Abbesses. Dans chaque cas il y a certes un intérêt commercial, une volonté de création urbanistique avec son atmosphère propre, des légendes, des mensonges et des fables, mais il y a aussi une forme d’appropriation naturelle par ceux qui les fréquentent et par-delà, les façonnent sans plus de préméditation. Si l’on suit bien le raisonnement de l’ouvrage, Saint-Germain-des-Prés  et les autres quartiers où se réunissent les Parisiens, seraient finalement artificiels avec des faces cachées pas forcément reluisantes.

Mais le Parisien est suffisamment libre pour choisir ses ambiances et préférer, ou pas, une coupe de Champagne dans une brasserie de la Porte Champerret, plutôt qu’au Flore (1). Et c’est toujours lui qui saura démêler le vrai du faux selon son humeur ou ses envies. Ce à quoi ce petit livre bien fait peut justement l’aider.

PHB

L’invention de Saint-Germain-des-Prés. Eric Dussault. Editions Vendémiaire. 22 euros.

(1) C’est bien au Flore, à la petite table à gauche juste après l’entrée, qu’ont été fondées à l’automne 1911, avec Guillaume Apollinaire entouré de sa garde rapprochée, Les Soirées de Paris.

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2 réponses à Saint-Germain-des-Prés désossé

  1. Pasko Simone dit :

    Grazie per l’ottimo servizio informativo!

  2. Bruno Sillard dit :

    Une paire de seins qui demandent leur part de nuit dans un sous sol que rien n’indique, les cocktails trompeurs où le nuiteux se noie, la lumière noire qui vous dessine de blanc, un sexe que l’on embrasse furtivement, le ciel de la nuit qui colore de lait au petit matin, une dernière fois le bandit manchot avale une nouvelle carte bancaire, enfin se réveiller au terminus du RER où on ne voulait aller. Et pendant ce temps là le touriste dort, sans le savoir il a sauvé son porte-monnaie, sa santé peut-être, il n’en connaîtra que ce que lui raconteront plus tard les écrivains, les échotiers, ce que lui joueront dans l’oreille les musiciens où le chanteurs. Il n’en saura pas tout, pourvu qu’il en connaisse assez pour ne pas se perdre.

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