« Cédric, tu m’entends ? »

L'affiche de "Mes nuits à t'attendre"Il est des histoires où le plus insignifiant des énoncés saisit dans la chair celui qui le reçoit. Cette histoire, c’est la nôtre, c’est aussi celle que nous offre un couple semblable à tant d’autres dans la très authentique pièce de Fabien Bicheux. Ce tête à tête épuré mis en exergue par son titre « Mes nuits à t’attendre » ne cache rien de son objet mais ne tarit pas d’émotions dans ce jeu d’échange ramassé en 55 minutes.

Elle, c’est Lilly ; sa réussite professionnelle semble venir épouser ses ambitions personnelles loin de l’appui rassurant de l’autre. Prototype de la femme moderne, elle sait ce qu’elle veut, et notamment ce qu’elle ne veut plus. Etre celle qui attend, celle qui a à se régler sur le tempo du partenaire au fil de ses scénarios imaginaires, la met face à ce que l’être-à-deux contient de plus désarmant et d’insaisissable.

Dans sa candeur virant très vite à la maladresse, lui, Cédric, tente de dissoudre le conflit en affichant un mur de silence le mettant à l’abri de toute réponse possible de l’autre. L’attente et le silence prennent alors place en toile de fond de ces deux actes, comme à l’insu des protagonistes d’une relation qui ne peut se jouer qu’à deux.

Si pour Roland Barthes l’attente doit se penser dans une scénographie, « Mes nuits à t’attendre » en fait une passionnante démonstration. Cette triste illustration d’un conjugo portant les stigmates de l’usure et de l’indifférence donne à penser le sens véritable de l’orientation donnée dès lors qu’une union s’inscrit symboliquement. Et le tour de force du propos ne se condense pas tant dans les doutes et les déchirements incarnés avec brio que dans le choix de l’orientation donnée à cette impasse.

Scène de "Mes nuits à t'attendre". Source image: Laurette Théâtre

« Mes nuits à t’attendre ». Photo: Fabien Bicheux

La raison ne nous poussera jamais assez loin dans ce qui paraît le plus souvent comme une « folie à deux » où les codes, toujours si singuliers du fait d’un défaut d’universalité, deviennent dangereux lorsqu’il n’en est plus qu’un qui les détient. Jusqu’où nous est-il possible d’aller dans l’acharnement à être à deux ? Le parti pris de Fabien Bicheux ne cache pas sa sensibilité à faire de l’absence une présence et de la présence une absence. Alternativement elle, alternativement lui, présence et absence se mêlent jusqu’à se confondre et s’oublier dans un tourbillon qui nous resterait encore à nommer.

Si nous pensions encore détenir les clés de ce qui fonde une relation, la mise en scène de la mise en scène de toute union nous déloge solidement de nos certitudes jusqu’à tracer le sillon d’un questionnement. N’est-ce pas ce que l’on attend de l’art ? …

Célia Breton

Au Laurette Théâtre, rue Bichat. Photo: PHB/LSDP

Au Laurette Théâtre, rue Bichat. Photo: PHB/LSDP

« Mes nuits à t’attendre », Laurette théâtre Paris (36, rue Bichat, 10ème) Représentations jusqu’au 18 décembre 2015

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