Picasso confronté à ses « followers » au Grand Palais

"Sans titre, Pablo Picasso" (1984), Jean-Michel Basquiat. Détail. Photo: Valérie MaillardLa Réunion des musées nationaux a de la suite dans les idées. Après avoir proposé en 2008 une grande exposition « Picasso et les maîtres », voici que le Grand Palais accueille en quelque sorte la thématique inversée avec « Picasso.mania ». « Picasso et les maîtres » c’était les maîtres de l’histoire de la peinture convoqués par Picasso (Velázquez, Delacroix, Manet …) pour être non pas copiés ni pastichés mais réinventés, recyclés en quelque sorte. Une grande exposition, où Picasso tenait son rang face à ses illustres prédécesseurs. Avec Picasso.mania, c’est au tour de Picasso d’être revisité.

Picasso a lui aussi beaucoup inspiré et continue d’inspirer, nous dit-on. Et nous sommes invités à découvrir quelque 320 œuvres d’artistes les plus divers dont une centaine de Picasso. L’exposition, qui s’attache à montrer comment les artistes ont reçu l’œuvre du maître et ce que cela a engendré dans leur propre création, retrace les étapes de la formation du « mythe Picasso ». L’objectif est ambitieux, d’autant que les textes des salles l’expliquent assez peu ou mal. Au risque de faire passer le visiteur à côté d’une exposition qui a pourtant toute sa place dans les grandes rétrospectives sur Picasso.

En préalable, il ne faudrait pas réduire la démarche des organisateurs à la seule confrontation des œuvres de Picasso avec celles d’autres artistes – les tableaux qui ont été sélectionnés parmi ceux de Roy Lichtenstein, Andy Warhol, David Hockney, Jasper Johns et bien d’autres ne tiendraient pas la comparaison, alors que ces artistes sont tous confirmés. Dans cet esprit, les productions de Picasso et celles des artistes (il y a quelques femmes) qu’il a inspirés ne sont jamais présentées ensemble. Les toiles du maître ont été réunies dans un esprit d’accumulation. Cela peut surprendre, d’abord, tant de Picasso au centimètre carré ! Et puis l’on se souvient qu’il procédait ainsi dans ses ateliers. Il les disposait sans cadre, rapprochées les unes des autres et sans tenir compte de la chronologie et des périodes auxquelles elles correspondaient. C’est de cette manière que furent réalisés des accrochages qu’il supervisa, comme celui du Palais des Papes à Avignon en 1970, notamment. De grands bancs invitent à s’asseoir pour admirer longuement ce concentré de Picasso que l’on ne verra pas deux fois dans sa vie. L’effet est saisissant. Cet accrochage est une bonne idée et il fallait y penser.

Dans cette exposition et à travers les œuvres choisies, Picasso est admiré tout autant que moqué. Un peu à l’image de la controverse perpétuelle au sujet de son œuvre. Maurizio Cattelan avec sa sculpture à l’effigie du peintre (réplique d’un happening avec un vrai comédien affublé d’une grosse tête en papier mâché – « Sans Titre, Picasso », 1998) en est un exemple, ou encore Paul Mac Carthy (« Dick eye, from the Pirate Head series », 2002) qui le représente avec un pénis à la place du traditionnel cache-œil du pirate.

"Head (after Picasso)" (1985), Andy Warhol. Photo: Valérie Maillard

« Head (after Picasso) » (1985), Andy Warhol. Photo: V.Maillard

Pour d’autres peintres, Picasso représente une interrogation à un moment clé de leur parcours artistique ou, parfois même, un défi à leur propre créativité. Dans les années 1960, les artistes pop art Roy Lichtenstein ou Erró s’emparent de Picasso procédant à une « popisation » du maître. Ils seront rejoints par Andy Warhol. Pour ces artistes qui rejettent l’abstraction, Picasso (au-delà de son œuvre elle-même) est vu comme une icône contemporaine au même titre qu’un héros de comics, qu’une Marylin ou qu’une bouteille de soda. Dès 1950, Roy Lichtenstein avait déjà placé le travail de Picasso au centre de son propre travail, réinterprétant les portraits face-profil de Dora Maar qu’il réalisait au milieu des années 1930. Ceux-ci donnèrent lieu à une grande quantité de variations de la part de Lichtenstein et de Warhol dans les années 1960 et 1980. Erró, de son côté, a engagé avec Picasso un dialogue pictural qui se poursuit encore aujourd’hui, jusqu’à l’obsession. Dans son « Picasso melting point » (2014), il mêle ses traditionnelles figures de comics (1) aux « Demoiselles » échappées du chef d’œuvre de Picasso.

Quantité d’extraits de films ou de projections évoquant Picasso (tous ne sont pas probants) viennent ponctuer l’organisation thématique de l’exposition. Parmi les œuvres visuelles, retenons une installation vidéo de Rineke Dijkstra « Je vois une femme en larmes » (2009), qui est le fruit d’un travail effectué avec les élèves d’une école de Liverpool regardant et commentant « La Femme qui pleure », un portrait de Dora Maar de 1937.

On peut se demander comment s’est opéré le choix des artistes. Ils auraient pu être plus nombreux ou au contraire beaucoup moins, différents, parfois plus « pertinents » au regard de l’œuvre de Picasso. Ceux retenus sont plutôt fidèles à Picasso lui-même puisqu’il on su, selon le commissaire général, Didier Ottinger, « nouer une relation durable et informée » avec le maître. Quatre ont une salle réservée : David Hockney, Roy Lichtenstein, Jasper Johns et Martin Kippenberger. Et dans ce choix là, sans doute, la preuve est faite que l’exposition n’est pas tout à fait grand public. Cependant, elle est vraiment enrichissante pour qui fera la démarche de s’y intéresser vraiment.

Valérie Maillard

« Picasso.mania », Galerie nationales du Grand Palais, Jusqu’au 29 février 2016.

L’Exposition est organisée conjointement par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, le Centre Pompidou et le Musée national Picasso-Paris.

(1)  Lire aussi la chronique des « Soirées de Paris » sur la rétrospective Erró qui se tenait au musée d’art contemporain de Lyon jusqu’en février 2015.

Mur d'oeuvres de Picasso au Grand Palais. Photo: Valérie Maillard

Mur d’œuvres de Picasso au Grand Palais. Photo: Valérie Maillard

 

 

 

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