Fragonard, reflet de la sensualité d’un siècle

Détail d'une oeuvre de Fragonard. Photo: PHB/LSDPIl est encore possible de trouver en France, sur le mur d’une chambre d’hôtel d’à peine deux étoiles, des croûtes vaguement érotiques destinées à distraire le temps d’une soirée, le voyageur de commerce à l’étape. A vrai dire, c’est ce qui peut venir à l’esprit, face à certaines peintures de Fragonard, actuellement exposées au musée du Luxembourg. On peut en effet trouver de grands écarts de facture entre ses toiles. Ses dessins en revanche, plus discrets, témoignent d’une inspiration et d’un talent sans fluctuations.

Ce n’est pas tant la peinture de celui que l’on dénomme et dénommait familièrement « Frago » qui interpelle mais davantage l’approche de la polissonnerie au dix huitième siècle. Il est curieux du reste que l’on parlât à l’époque de « fête galante » quand beaucoup de ses œuvres excluent le consentement dans l’acte amoureux au bénéfice de la contrainte, par la gifle, le baiser volé, la culbute, la (mauvaise) surprise. Le viol ou du moins la violence, sont présentés sous un jour aimable, ce qui n’engage pas à le visiteur à l’indulgence.

Heureusement ce n’est pas toujours le cas. Lorsque la toile est exclusivement occupée par la gent féminine, le regard s’amollit face à ces présentations un peu mièvres de femmes à leurs toilettes ou lovées sur des bergères. Tout ou partie dénudé, le buste de ces femmes est là pour susciter l’éveil de la concupiscence et comme si cela ne suffisait pas, il y a l’omniprésence d’un petit chien touffu, lequel animal avait pour vocation, non choisie là aussi, de servir de compagnon de plaisir, de joyeux (et fidèle) sex-toy à quatre pattes. La toile figurant « deux femmes sur un lit jouant avec deux chiens », réalisée vers 1770, est à ce titre passablement emblématique.

Détail de "L'heureux moment ou la résistance inutile. Fragonard. Photo: PHB/LSDP

Détail de « L’heureux moment ou la résistance inutile. Fragonard. Photo: PHB/LSDP

Originaire de Grasse, Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) est considéré pour cette époque comme le « principal agent » de la « séduction et de l’intrigue amoureuse ». Hormis ses paysannes énamourées et ses compositions mythologiques qui lui servaient de prétexte au « topless », il a également été l’illustrateur brillant des contes fripons de La Fontaine. Ses dessins miniatures y révèlent un savoir-faire bien plus évident que dans ses peintures où certaines touches de rouge vif vouées à figurer les mamelons font l’économie de la moindre subtilité.

A chacun sa façon d’aborder l’artiste et de passer d’une toile d’apparence bâclée à des compositions de nature bien supérieures. Mais ce qui fascine davantage encore une fois dans cette exposition abritée jusqu’au 24 janvier au musée du Luxembourg tient, si l’on veut bien faire un effort de rétrospective mental,  dans l’évolution de la représentation érotique depuis le dix-huitième siècle jusqu’à nos jours en passant par le début du vingtième. Que dira-t-on dans quelques générations d’un Milo Manara dont le trait si adroit, si raffiné, au service d’histoires incroyablement sensuelles, nous empourprent à coup sûr ?

PHB

Jusqu’au 24 janvier 2016

Fragonard illustrateur. Photo: PHB/LSDP

Fragonard illustrateur. Photo: PHB/LSDP

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