Packaging

Emballages. Photo: PHB/LSDPIl avait stipulé qu’il voulait être enterré à Paris, non pas embaumé mais laqué et surtout, mis en boîte dans l’un des emballages industriels de son usine. Ses amis s’étaient acharnés à satisfaire ses vœux mais la famille les avaient poliment envoyés se promener. Moyennant quoi, ils s’étaient retrouvés à Thiais, la grande succursale parisienne des morts, en cercle, face à un cercueil en chêne très classique, le corps figé selon les règles de la thanatopraxie traditionnelle.

Au moins ses amis avaient-ils pu disposer une plaque exprimant leurs lourds regrets gravés. Parmi eux se trouvait un astrophysicien qui leur rappela un fameux pot au feu ayant, quelques mois auparavant, servi de point d’arrivée encore fumant d’une discussion métaphysique mémorable. Cette histoire est basée en partie sur des faits réels.

Le défunt s’appelait modestement Jean-Marie. C’était un ingénieur issu des arts et métiers. Il votait à droite quand tous ses amis penchaient à gauche. Chaque dimanche soir, il assistait à l’office de sa paroisse. Il était drôle, original et ses amis l’adoraient.

Un jour qu’ils s’étaient réunis sous la protection d’une enseigne réputée pour son pot au feu, l’astrophysicien qui se dénommait Marc-Antoine et qui répondait pour ses intimes au diminutif de Marco, leur avait détaillé le consensus en vogue dans son domaine de recherche à savoir que nous vivions dans un univers fini et que l’infini n’existait pas, quitte à tordre un peu le bras aux savantes formules mathématiques qui ne se laissaient pas toujours faire.

Emballages. Photo: PHB/LSDP

Emballages. Photo: PHB/LSDP

Mais lui Jean-Marie faisait dans l’emballage industriel. Il emballait jusqu’à des missiles pour l’armée en passant par des matériaux obscurs dont la destination finale offrait un intérêt pour le moins abstrait aux oreilles profanes.

Et ce soir-là sa démonstration fit forte impression. Pour lui, professionnel de l’emballage, la démonstration physique du fini n’avait pas le moindre sens. Du simple pack de lait aux poupées russes, de la boîte d’allumettes à la conserve de maquereaux marinés, de la cuisine en kit aux missiles croisières, du riz à la grecque à la sphère intra-utérine, rien n’échappait à l’emballage et le big bang se résumait selon ses réflexions, à un simple défaut d’usinage aux conséquences certes monstrueuses mais dûment établies.

Il ne contestait pas que l’univers eut une forme de circuit électrique en huit, tel un jeu de petites automobiles télécommandées pour enfants, mais il disait à Marc-Antoine, paupières plissées sur ses beaux yeux gris, «cherchez encore et vous trouverez l’emballage de votre grand bidule mou avec qui sait, sur le papier céleste, l’adresse et l’identité de l’expéditeur accompagné du code barre originel». Le pot au feu que tous se partageaient avait dès lors pris comme un goût mystique, méphistophélique, que seul le blanc aligoté arrivait à atténuer après moult rasades, claquements de langues et déglutitions satisfaites.

« On se trouve un peu cons, sans toi », avait fini par lâcher celui qui s’était improvisé porte-parole du petit groupe, une fois la famille partie. Mais le paquet réduit des amis encore en vie faisait toujours un clan.

PHB

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Nouvelle. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Packaging

  1. MC dit :

    Régal !…
    Merci

Les commentaires sont fermés.