James Salter, entre haute voltige et rase-mottes

James Salter sur le mur de Google images. Photo: PHB/LSDPPartant du principe qu’il n’est jamais trop tard pour plonger, voire s’immerger, dans la découverte d’un auteur, on peut considérer que les éloges dithyrambiques suscités par sa mort sont un élément déclenchant comme un autre. Pardon donc à tous ceux qui connaissent l’œuvre de James Salter et la dévorent depuis sa première publication à la fin des années 50. Ici, il sera question d’un regard sur une bibliographie peu abondante – un peu moins d’une dizaine de titres en 50 ans – mais toujours saluée en France par un cercle critique admiratif faisant de Salter, un habitant discret de la galaxie des auteurs américains mâles de la même génération, Philip Roth en tête.

James Salter est mort en juin dernier, à 90 ans, en effectuant ses exercices de gymnastique matinaux. Une fin que l’on imagine tout entière écrite à l’encre de la rude discipline militaire acquise au cours de son éducation à l’académie de West Point. Curieusement, quelques jours avant sa mort, les Editions de l’Olivier venaient de publier son premier roman, « Pour la gloire », pour la première fois traduit en français, près de 50 ans après sa sortie aux Etats-Unis.

Difficile de concevoir univers plus étranger à des lecteurs français : « Pour la gloire » retrace quelques mois de vie sur une base militaire américaine de Corée du sud alors que la guerre des Corées bat son plein. Des hommes de tous grades y volent en quête de gloire et d’héroïsme, à la poursuite d’hostiles Mig soviétiques, dans une atmosphère de rivalités viriles au service de prouesses techniques que, sans doute, seuls des pilotes de chasse aguerris auraient dû apprécier. Et pourtant, non. Par une autre prouesse, beaucoup plus littéraire, Salter sait nous emporter, sans réserve, dans ces combats avec les nuages et ces décomptes de proies abattues. Le sujet est a priori aride, mais la qualité d’écriture et de narration le sublime. Quand Salter est à son meilleur, il trouve le parfait dosage dans la sobriété du style et la distance avec ses personnages. C’est parfait… et un peu trompeur : on se dit que l’écrivain qui a su nous accrocher sur plus de 200 pages faites de querelles trempées dans la testostérone et la technique de la chasse aux Mig, doit avoir mille autres talents à dénicher dans sa bibliographie.

Retour d’une exploration – à peu près exhaustive, compte tenu des titres épuisés – faite en quelques mois : il y a du haut vol et il y a du rase-mottes. De quoi satisfaire tous les goûts peut-être mais si les romans de Salter supportent mal cette lecture en calendrier resserré, c’est qu’ils se nourrissent tous des souvenirs de James Salter, comme en atteste son autobiographie « « Une vie à brûler » qui raconte ses romans en moins bien. L’univers d’une seule vie se renouvelle malheureusement trop peu.

Autre défaut aux yeux d’un lectorat français : Salter qui éprouvait une grande affection pour la France, est tombé trop souvent dans les clichés véhiculés par les Américains à l’égard de la culture, de la gastronomie, de l’art de la séduction et autres caractéristiques généreusement prêtées aux Français. Ernest Hemingway en a déjà fait des tonnes ; Peter Mayle a usé le filon jusqu’à la corde ; les comédies musicales américaines ont mis le tout en danses et en chansons. Cette réserve sur le folklore hexagonal laisse donc de côté « L’homme des hautes solitudes », qui peut néanmoins séduire les amateurs de haute montagne, mais surtout « Un sport et un passe-temps », sorte d’ode au sexe dans une ennuyeuse province bourguignonne, ou « Chaque jour est un festin », déclaration d’amour à la gastronomie française que James Salter cosigne avec sa femme, Kay, sur près de 400 pages d’un ennui profond qui hésite entre le manuel de la parfaite maîtresse de maison et l’initiation un peu lourde à un art culinaire tout aussi lourd.

Mais Salter sait aussi faire du très bon. Et il est à son meilleur quand il peint avec beaucoup d’acuité la société américaine des dernières décennies et sait construire des vies et des parcours aussi subtils que sinueux, mêlant et emmêlant les personnages et leurs sentiments dans les fils d’un monde qui change. Dans les romans de Salter, les personnages sont avant tout blancs, éduqués, friqués. Ils vivent sur la côte Est et voyagent beaucoup. Ce n’est donc qu’une fraction infime de l’Amérique mais Salter la scrute avec un scalpel affûté, et la dissèque de façon quasi clinique.

Salter sur le mur d'images Google. Photo: PHB/LSDP

Salter sur le mur d’images Google. Photo: PHB/LSDP

L’écrivain s’efface. Il ne s’impose pas. Il est comme l’œil derrière la caméra ou le microscope. Il donne à voir. C’est sa vie en plus beau qu’il offre à ses héros malmenés. Les années 70 sont magnifiées dans « Un bonheur parfait », sur le thème classique de la vie qui se détricote inexorablement et laisse ses personnages à nu. « Et rien d’autre » nous embarque pour une traversée de la seconde moitié du siècle passé, tissant de fils serrés, la mélancolie portée par les espoirs d’un passé meilleur et les illusions qui se dérobent. Les lecteurs des Soirées de Paris pourront aussi y apprécier le dîner assez mondain qui sert de décor aux premiers pas d’une histoire d’amour et qui compte parmi les convives « un jeune journaliste français qui écrivait une biographie d’Apollinaire »…

Marie J

A retenir, en toute subjectivité :

« Pour la gloire », Editions de l’Olivier. Traduit par Philippe Garnier
« Un bonheur parfait », Editions de l’Olivier et collection « Points ». Traduit par Lisa Rosenbaum et Anne Rabinovich
« Et rien d’autre », Editions de l’Olivier. Traduit par Marc Amfreville

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