Frissons garantis rue Chaptal

Théodore Géricault (1791-1824), Etude de pieds et de mains 1818-1819, Huile sur toile, Montpellier, Musée Fabre de Montpellier Agglomération © Musée Fabre de Montpellier Agglomération Une main mollement ouverte, son bras, coude plié, puis son épaule, juste avant laquelle est noué un morceau de tissu blanc ensanglanté ; un pied, plante apparente, un second, esquissé. Cette étude et ses voisines valent à elles seules le voyage, un aller simple vers le 19e siècle morbide.

Au pinceau, Théodore Géricault prépare son Radeau de la Méduse. Nous sommes en 1818. L’artiste est allé chercher quelques fragments anatomiques à l’hôpital Beaujon et les peint à la lumière d’une bougie. Le même amas de membres est représenté à trois reprises, sous trois angles différents.

Bienvenue rue Chaptal, au Musée de la Vie Romantique, qui nous offre jusqu’au 28 février mieux qu’un train fantôme, mieux que Freddy et sa tronçonneuse, la délicieuse exposition temporaire « Visages de l’effroi ». Dans la maison parisienne du romantisme, ancienne demeure d’Ary Scheffer où rôdent encore les fantômes de George Sand, Frédéric Chopin ou Eugène Delacroix, l’exposition met en lumière la face sombre d’une époque artistiquement foisonnante. Exit l’académisme, le néoclassicisme. Bien avant l’impressionnisme, le romantisme a chamboulé les règles, sur fond de bouleversements de la société, de la Révolution à l’Empire, et ici jusqu’au développement de la presse qui relate jusqu’aux plus sordides faits divers. L’heure n’est pas à la rigolade. Le romantique, qu’il peigne, qu’il écrive, en a gros sur la patate. La présente exposition nous en fait la démonstration. Frissons garantis. La Rome antique pas romantique pour un sou cède la place au surnaturel ou aux malheurs du quotidien. Fini l’idéal, place aux tourments de l’âme.

Eugène Delacroix (1798-1863), Roméo et Juliette devant le tombeau des Capulets, huile sur papier marouflé sur toile, Paris, musée national Eugène Delacroix © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot

Eugène Delacroix (1798-1863), Roméo et Juliette devant le tombeau des Capulets, huile sur papier marouflé sur toile, Paris, musée national Eugène Delacroix © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot

Comme une évidence, on croise Roméo et Juliette au tombeau croqués par Delacroix. Plus loin, le massacre des Innocents (ah, Rome encore, exotique tout de même) imaginé par Léon Cogniet, La charrette du condamné sans doute sur le boulevard du crime, par Louis Boulanger pour illustration du Dernier jour du condamné de Victor Hugo.

Et là, Honoré Daumier nous présente la Rue Transnonain, le 15 avril 1834. Tandis que Louis-Léopold Boilly nous offre l’Effet du mélodrame, quand une dame s’évanouit dans une loge de théâtre, affolement, attroupement, un enfant crie, des hommes soutiennent la malheureuse, qu’a-t-elle donc vu sur scène qui puisse produire un tel effet ? Elle n’a tout de même pas vu Athalie ordonnant le massacre des enfants de la race de David, sombre épisode fort bien nerveusement rendu par Xavier Sigalon par une sanguine de corps mêlés, un ballet, un amoncellement dansant.

Des larmes et du sang, des cris et des crimes, présentés par la fine fleur du romantisme français dans le charmant écrin de la rue Chaptal. Allez-y donc frissonner. De peur et de plaisir. Car une fois dans le bain, on ne peut que se laisser séduire par la qualité des œuvres présentées. Elles montrent ou suggèrent, mais toujours nous embarquent pour un grand voyage. L’effroi, d’accord, mais romantique alors.

Byam

Aller simple pour un 19e siècle sanglant

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2 réponses à Frissons garantis rue Chaptal

  1. VAM dit :

    Merci pour ce romantique et matinal voyage vers l’effroi, particulièrement sensible et merveilleusement décrit/écrit.

  2. Steven dit :

    Le style et puis c’est instructif et drôle. S.

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