Enthousiasmante « Argentina » de Carlos Saura

Argentina. Vue partielle de l'affiche. Photo: PHB/LSDPAvec Argentina, actuellement sur les écrans, le cinéaste Carlos Saura franchit une étape de plus dans son voyage musical entamé il y a 23 ans avec « Sevillanas », présenté lors de l’Exposition Universelle de Séville en 1992. L’accueil avait alors été chaleureux. Depuis, avec la même esthétique faite de rigueur, d’exigence et de raffinement contrôlé, il y eut « Flamenco », suivi de « Flamenco Flamenco », puis « Tango », puis « Fado »…

Autant d’œuvres qui ont pu dérouter la critique cinématographique officielle : ni documentaires, ni fictions, ces films échappent à toute classification. Vingt-trois ans après « Sevillanas », qui célébrait les danses populaires de la capitale andalouse, on s’aperçoit, avec cet opus argentin, que le cinéaste aujourd’hui âgé de 83 ans, a créé de toutes pièces une esthétique nouvelle, qui ne doit rien à personne. Sa griffe se reconnaît dès les premières images.

La clé de la réussite est peut être un respect total de la “matière première“ de ces films : la musique, telle qu’elle est pratiquée par une communauté géographique. Saura choisit toujours les représentants les plus notoires, les artistes les plus significatifs des traditions. La caméra, qu’il maîtrise comme personne, est au service de ces traditions qu’il nous invite à partager autant qu’à découvrir, dans sa profondeur et sa diversité. « Ce film est musical en soi, déclare le réalisateur, il n’y a pas d’argumentaires mais seulement des interprétations, de la mise en scène, de la lumière et beaucoup de respect de ma part. »

L’Argentine n’est pas seulement le pays du tango. Cette danse urbaine, auquel Saura a consacré un film en 1998, appartient essentiellement aux traditions de la capitale Buenos Aires, et n’est pas considérée comme appartenant au folklore proprement dit. Le pays offre, selon les provinces, un riche éventail de danses et de rythmes divers comme la zamba, le bailecito, la baguala, le chamamé, ou encore la chacarera, la plus célèbre, spécialité de Santiago del Estero, au nord-est du pays. Un panorama à la fois joué, chanté et dansé qui permet de balayer une grande partie du pays, comme le vent « zonda » qui donne son sous-titre au film.

Dès le début, une fois le décor minutieusement planté, les différents numéros vont s’enchaîner sans discontinuer, sans commentaire extérieur. Seules les paroles des textes apparaissent en sous-titrage en bas de l’écran. La caméra de Saura est fluide, mobile, elle va au plus près des corps des danseurs. Elle souligne un geste, un mouvement de paupière, elle s’attarde sur un visage, laisse quelques secondes  à vide, après l’interprétation d’un morceau : l’effet est saisissant. Le jeu de miroirs, essentiel, et celui des lumières, associées à des pans de couleurs tout en contraste, sont des éléments constitutifs de la célébration que propose Saura. Comme une partition visuelle accompagnant les accords de guitare ou les résonances des bombos.

La danse a la part belle dans ce voyage à travers les provinces argentines. Certaines d’entre elles donneront envie aux spectateurs de participer à l’action. Il y a notamment une démonstration de gato où les réalisateurs (du film ? de la chorégraphie ?) jouent avec humour sur le double sens du mot, qui signifie « chat ». La scène est rafraîchissante.

Quelques temps forts dans cet émouvant hommage à la musique du peuple argentin : l’évocation, incontournable, d’Atahualpa Yupanqui, figure tutélaire du folklore argentin, compositeur de très nombreuses chansons dont certaines sont chantées sur tout les continent latino américain ; et la diffusion, devant les élèves d’une classe primaire de la chanson Todo Cambia par la grande interprète Mercedes Sosa, disparue en 2009. Voir ces enfants de 8 ou 9 ans essayer de marquer le rythme sur le pupitre de bois en écoutant, médusés, la voix âpre, venue du plus profond des âges, de celle qu’on appelait « la negra » a quelque chose de bouleversant.

Gérard Goutierre

"Argentina". Source image: Epicentre films

« Argentina ». Source image: Epicentre films

« Argentina Zonda », de Carlos Saura, 1h 27

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Une réponse à Enthousiasmante « Argentina » de Carlos Saura

  1. Bruno Sillard dit :

    Étonnant ce cinéma espagnol, à la fois connu mais dont l’écriture flirte avec l’absurde, quelques noms bien sûr comme Bunuel, Almodovar ou Saura. Existe-t-i l en contrepoids un ciné espagnol populaire? Oui je sais au lieu de poser de questions , je n’ai qu’à chercher les réponses. A propos de questions , les Sevillanas musique gitane, ne sont – elles pas les ancêtres du Tango Argentin. Merci pour le papier

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