Je l’appelais Monsieur Cocteau, pour mémoire

Je l'appelais Monsieur CocteauEn 1996, paraissait aux Editions du Rocher l’émouvant témoignage de Carole Weisweiller sur Jean Cocteau, préfacé par Jean Marais : “Je l’appelais Monsieur Cocteau”. Quelques années plus tard, fort de son succès, ce livre de souvenirs faisait l’objet d’une édition augmentée, aux éditions Michel de Maule. La pièce qui se joue actuellement au Studio Hébertot est l’adaptation par Bérengère Dautun d’extraits de cet ouvrage, véritable marque de respect et d’admiration envers l’artiste prolifique que fut Jean Cocteau.

En 1983, pour commémorer les vingt ans de la disparition de l’auteur de “Plain-Chant” et de “L’Aigle à deux têtes”, Jean Marais créait le magnifique spectacle “Cocteau-Marais”, vibrant hommage au Prince des poètes. A sa suite, le spectateur, tel Orphée, traversait le miroir et découvrait le monde merveilleux de celui qui déclarait “Faites semblant de pleurer mes amis, puisque les poètes ne font que semblant d’être morts”.

Ce texte qu’il avait conçu et mis en scène avec l’aide de Jean-Luc Tardieu et interprétait seul en scène fut repris sept ans plus tard au Théâtre du Rond-Point avec toujours la même ferveur. Qui mieux que Jean Marais pouvait parler à la fois de l’homme et de l’œuvre de ce grand artiste touche à tout qu’était Jean Cocteau ? Pendant des années, l’acteur, témoin privilégié et ami fidèle, n’eut de cesse de faire revivre le poète, de monter et jouer ses pièces (“Les Parents Terribles”, “Bacchus”, “La Machine Infernale”, “Les Chevaliers de la Table Ronde”, “Les Monstres Sacrés”…), de transmettre sa parole aux jeunes générations afin que l’épitaphe gravée sur la tombe du poète et signée de sa main “Je reste avec vous” revête tout son sens.

Depuis que l’acteur nous a, à son tour, quittés il y a dix-sept ans, les hommages se font plus rares et Cocteau est le grand absent des scènes de théâtre. Notons cependant quelques belles exceptions : une mise en scène de la pièce “Les Parents terribles” par Jean-Claude Brialy en 2000 au Théâtre des Bouffes Parisiens; “Cocteau l’invisible vivant”, un montage de textes dits par Brigitte Fossey et Marie Adam  en 2004 à la Maison de la Poésie ; une nouvelle création en 2009 de “Cocteau-Marais” au Studio-Théâtre de la Comédie-Française avec Jacques Sereys dans le rôle de Cocteau ; une mise en scène de “La voix humaine”, précédée de “La Dame de Monte-Carlo”, par Marc Paquien, là encore au Studio-Théâtre de la Comédie-Française avec les remarquables Martine Chevallier et Véronique Vella.

"Je l'appelais Monsieur Cocteau". Théâtre Hébertot. Photo: Lot

« Je l’appelais Monsieur Cocteau ». Studio Hébertot. Photo: Lot

Autant dire que cette adaptation théâtrale du livre de Carole Weisweiller était donc la bienvenue. Les Weisweiller – Alec et Francine, parents de Carole – firent la rencontre de Jean Cocteau par l’intermédiaire de leur cousine Nicole de Rothschild, plus connue sous le nom de Nicole Stéphane. Jean Cocteau avait remarqué la jeune comédienne dans le film de Jean-Pierre Melville “Le Silence de la Mer”(1949), reconnaissant immédiatement en elle la future interprète de son roman “Les Enfants Terribles” qu’il adaptait pour le cinéma. Le film ayant du mal à se terminer, Francine Weisweiller intervint alors dans la production et aida au financement de l’œuvre. Carole Weisweiller, âgée de sept ans et demi, rencontra Jean Cocteau sur le tournage du film. L’enfant fut aussitôt fascinée par ce génie tout simple qui, non seulement lui adressait la parole, mais lui demandait son avis, s’intéressait très sincèrement à elle. La gentillesse du poète était sans limites. S’ensuivit une amitié qui dura jusqu’à la mort de l’artiste aux multiples talents, en 1963, alors que Carole avait vingt et un ans. Cette rencontre changea le cours de la vie de “la petite fille aux deux mains gauches” comme la surnommait affectueusement Jean Cocteau. Enfant unique qui passait jusqu’alors la plupart de son temps en tête à tête avec sa nounou, Carole fut, grâce au poète, admise dans un monde merveilleux où elle eut la chance de vivre avec “Monsieur Cocteau” et de côtoyer ses amis artistes, Picasso et tant d’autres.

Pièce à deux personnages, “Je l’appelais Monsieur Cocteau” retrace donc quelques moments des dernières années de la vie du poète alors que celui-ci vivait à Saint-Jean-Cap Ferrat, à la Villa Santo Sospir, en compagnie de son amie et mécène Francine Weisweiller, de sa fille Carole et d’Edouard Dermit, son dernier compagnon.

Offrant un décor et une scénographie extrêmement simples, le petit plateau du Studio Hébertot est divisé en deux parties, un atelier côté cour où officie le peintre Cocteau, incarné par le jeune Guillaume Bienvenu, et, côté jardin, un petit salon en rotin où Carole Weisweiller, interprétée par Bérengère Dautun, raconte “son” Cocteau. Sur un drap suspendu en fond de scène sont projetées des vues des fresques réalisées par l’artiste à cette époque : les “tatouages” de la Villa Santo Sospir, les chapelles Saint-Pierre de Villefranche-sur-Mer et Notre-Dame de Jérusalem près de Fréjus, la Mairie de Menton où l’artiste décora la salle des mariages ainsi que la chapelle Saint-Blaise des Simples à Milly-la-Forêt, dernière demeure du poète pour l’éternité. Au bruit d’une vieille machine à écrire, ces images sont entrecoupées de titres de chapitres ponctuant le récit de Carole Weisweiller – “La rencontre”, “Place des Etats-Unis”, “La cassure”… – et de citations de Cocteau dites par le comédien. Quelques notes de piano viennent accompagner le tout.

Bien que l’entreprise soit louable et sans doute peu aisée à mettre en œuvre, cette mise en scène très scolaire se rapproche plus de la conférence que du spectacle. Une conférence qui n’aborderait qu’une toute petite partie de l’œuvre de l’immense artiste. Les poèmes, romans, pièces de théâtre et films ne sont pas réellement évoqués. La magie de Cocteau n’est pas au rendez-vous. Et c’est dommage.

Il est vrai que l’inversion des âges des interprètes n’aide pas à se projeter dans la vision admirative d’une toute jeune Carole envers un poète âgé et au faîte de sa gloire. “La jeunesse est chez moi, chez elle” disait Jean Cocteau, ou encore “La jeunesse qui entre, croise à la porte, la vieillesse qui sort. C’est une minute interminable, une figure de menuet effrayante, une nuit des temps”.

Bérengère Dautun – tragédienne dont la carrière au théâtre se déroula en grande partie sur les planches de la Comédie-Française ; entrée en 1964, elle en devint sociétaire de 1972 à 1997 – interprète une Carole âgée qui se remémore ses années Cocteau. L’artiste, lui, est incarné par un jeune comédien – au demeurant, très juste –, sorte de poète à la jeunesse éternelle. Cette vision intemporelle instaure une certaine distance entre les deux protagonistes, alors que le livre de Carole Weisweiller, lui, décrit une relation très amicale et on ne peut plus humaine entre l’enfant et le vieil homme.

"Je l'appelais Monsieur Cocteau". Théâtre Hébertot. Photo: Lot

« Je l’appelais Monsieur Cocteau ».  Photo: Lot

Ce spectacle aura cependant, espérons-le, le mérite de donner l’idée à d’autres metteurs en scène de monter les pièces de Cocteau et aux spectateurs de découvrir ou de se replonger avec bonheur dans l’œuvre de l’auteur de “Thomas L’Imposteur” et de “L’Eternel Retour”.

Quant aux fidèles, ils pourront toujours pousser la porte de la petite chapelle de Milly, après avoir visité, quelques mètres plus loin, la Maison du Bailli que le poète acheta avec Jean Marais en 1947 et où il séjourna jusqu’à sa mort. Guidés par la voix enregistrée et reconnaissable entre toutes de Jean Marais, ils prendront plaisir à admirer le travail du poète et à se recueillir sur la tombe de celui qui signait son nom d’une étoile.

Isabelle Fauvel

Je l’appelais Monsieur Cocteau” jusqu’au 29 mai au Studio Hébertot avec Bérengère Dautun et Guillaume Bienvenu, mise en scène de Pascal Vitiello.

  • Livres de Carole Weisweiller relatifs à Jean Cocteau :

– “Je l’appelais Monsieur Cocteau” par Carole Weisweiller aux Editions Michel de Maule (2011).
– “
Les années Francine (1950-1963) par Carole Weisweiller aux Editions Le Seuil (2003).
– “
Villa Santo Sospir” par Carole Weisweiller aux Editions Michel de Maule (2011).
– “
Jean Cocteau, les murs tatoués” par Carole Weisweiller & Suzanne Held (2013).

  • Livres de Jean Marais relatifs à Jean Cocteau :

– “L’inconcevable Jean Cocteau” par Jean Marais aux Editions du Rocher (comprenant le texte du spectacle “Cocteau-Marais”, 1992).
– “
Lettres à Jean Marais” de Jean Cocteau aux Editions Albin Michel (correspondance publiée par Jean Marais en 1987).
– “
Histoires de ma vie” par Jean Marais aux Editions Albin Michel (1975).

  • Galeries d’art consacrées à l’œuvre de Jean Cocteau :

  • Galerie Anne-Julien 14 rue de Seine 75006 Paris

  • Galerie Bert 31 rue de Penthièvre 75008 Paris

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Une réponse à Je l’appelais Monsieur Cocteau, pour mémoire

  1. Madeleine Ravary dit :

    Dans La carrière de lumière actuellement Chagall
    aux baux de Provence
    En continu

    Fascination malgré le mistral
    de la projection film Documentaire sur le tournage c b de mille
    Orphee ou jean Cocteau se raconte et met en scène sa propre fausse mort
    Ont voit apparaitre En témoins les grands artistes amis qui l’ont entouré
    Diction superbe
    images magnifique et site grandiose
    Les poètes ne meurent pas c’est sur !
    PS Cocteau a écrit de belle choses sur les
    oeuvres les paysages de Serge Ferat

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