Dix ans de confidences murmurées au Musée du Quai Branly

Extérieur du Musée du Quai Branly.  Photo: PHB/LSDPA chaque printemps et pour toute la durée de l’été, le Musée du Quai Branly échappe presque totalement au regard depuis la Seine. La responsabilité en incombe à son beau jardin qui, les années aidant, fait désormais paravent. Pour photographier le bâtiment signé Jean Nouvel et qui s’apprête à fêter ses dix ans, les visiteurs se tordent le squelette afin de trouver l’angle rare. La paroi vitrée, qui reflète le quai, lui confère un surcroît de discrétion regrettable.

Dans le Monde daté du 28 novembre 1997, Plantu avait fait un dessin assez drôle. Il figurait un panneau de chantier sur lequel était inscrit : « Prochainement, ici, on ne construira rien. Coût des travaux, quatre cents millions de francs ». Le gouvernement Balladur, avait voulu à l’emplacement de qui avait été autrefois une île, un centre de conférences international. Devenu président de la République en 1995, Jacques Chirac y a trouvé le site idéal pour y implanter un musée des cultures du monde fort bienvenu. La prochaine exposition temporaire, attendue pour le mois de juin, portera son nom.

Pour le le préambule d’un livre publié en 2006 lors de l’inauguration, il avait été fait appel à l’ethnologue Germaine Tillion qui expliquait en substance que l’on ne pouvait devenir civilisé qu’après avoir été confronté à d’autres civilisations. Dans l’ignorance et le mépris des autres qui font de l’ambiance actuelle, à droite comme à gauche, un air bien difficile à respirer, l’enceinte du Quai Branly constitue, malgré quelques défauts de conception, un havre réconfortant, un bunker inspiré aux couleurs chaleureuses.

D’aucuns peuvent trouver son atmosphère si sombre un peu « oppressante » selon le mot choisi par une visiteuse lors de notre visite. Ses haies de peau qui serpentent entre les différentes salles évoquent davantage le monde de Disney ou le palais des Schtroumpfs . Les éclairages sont savants même s’ils font parfois penser (pour les esprits déviants), aux abords de mystérieuses alcôves, à quelque bordel des Mille et une nuits. Ici tout est codifié: les fenêtres , les inscriptions, l’ondulation des chemins d’accès, convoient des messages ou incluent des symboles. On s’y perdrait à en dresser la nomenclature.

Collections du Musée du Quay Branly. photo: PHB/LSDP

Parmi les collections du Musée du Quai Branly. Photo: PHB/LSDP

Mais peu importe car la qualité de l’ensemble des collections présentées nous rehausse le moral, nous fascine et nous instruit. Ayant quitté pour une heure ou deux le monde assez vain et stérile qui communique à tout bout de champ, il est bon se retrouver confronté à ces statues, masques et effigies dont le rôle pouvait être celui d’intercesseur avec l’univers des esprits, de favoriser la fertilité par symbole interposé ou encore de ritualiser l’émancipation. Leurs rares confidences y sont tout juste murmurées.

Le Musée du quai Branly dispose d’un trésor incomparable de trois cent mille pièces (recensement 2006) dont un peu plus de dix pour cent est montré au public, car la surface exploitable fait seulement un hectare. Tous ces objets proviennent notamment de l’ex-musée de l’Homme et de celui de la Porte Dorée.

L’idée avait fait son chemin, d’abord avec le collectionneur Jacques Kerchache, Jacques Chirac bien sûr, Stéphane Martin l’actuel directeur et aussi Jacques Friedmann « ami de longue date » du président. Il est intéressant de mentionner que le livre sorti la première année sur le sujet, mentionne aussi des inspirateurs comme André Breton, Pablo Picasso ou Guillaume Apollinaire, qui ont compté parmi les précurseurs et surtout les promoteurs des arts dits « premiers ». Dans une sorte de profession de foi plutôt convaincante, Stéphane Martin précisait alors que le tout neuf musée était le résultat d’un « projet politique » d’une ambition finalement dépaysante en comparaison de ce que l’on voit de nos jours sur la rive droite et sur la rive gauche. Il s’agissait de « changer le point de vue des futurs visiteurs sur l’histoire culturelle, artistique, politique de l’humanité ; retourner en quelque sorte la mappemonde pour faire percevoir que l’histoire du monde ne se limite pas à celle du pourtour méditerranéen ».

L'affiche pour les 10 ans du Musée du Quai Branly. Photo: PHB/LSDP

L’affiche pour les 10 ans du Musée du Quai Branly. Photo: PHB/LSDP

Tout comme le musée Guimet ou encore le bien plus modeste mais non moins remarquable musée Dapper, le Musée du Quai Branly nous confronte à des éléments tangibles qui ont construit et balisé l’essor de l’humanité. Ses collections extraordinaires nous font recouvrer un état de modestie des plus salutaires. On y reçoit de maintes figures, apparemment muettes, l’onction d’un mystère intact que l’on choisira de préserver en soi, comme une aubaine.

PHB

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2 réponses à Dix ans de confidences murmurées au Musée du Quai Branly

  1. Oserais-je avouer qu’effectivement j’ai un faible pour le modeste Musée Dapper et que je trouve le musée du Quai Branly quelque peu oppressant?

  2. de FOS dit :

    Quel beau texte sur l’ouverture aux mondes et la modestie, que la disparition de Germaine Tillion rend plus émouvant encore.

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