Un lit qui ne sera jamais chaud

"La passagère du wagon-lit". Photo: PHB/LSDPDepuis Pantin où il habite, Bruno Sillard fait et refait ses voyages de mémoire, réels ou irréels. L’une des plumes des Soirées de Paris vient de publier « La passagère du wagon-lit » le dernier recueil de ses souvenirs. Lire son dernier ouvrage revient à voir défiler devant nous un diaporama intime au bout d’un de ces faisceaux de lumière propres aux vieux appareils de projection, faisceaux dans lesquels on voyait flotter une chorégraphie de particules.

Bruno Sillard nous plonge de prime abord dans une relation complexe qu’il entretient avec ses deux compagnes de fortune et d’infortune lors d’un voyage dans le sud de l’Espagne. Ce faisant il nous invite à le connaître mieux. Les personnages, les villes qu’il traverse, les doutes qui l’habitent, les réponses qu’il suscite, les sentiments qu’il éprouve enfin, sont tout autant de miroirs qui nous renvoient les images d’une personnalité complexe. Dans cette première partie du livre intitulée « Les chemins d’Espagne », il tente d’encadrer une histoire avec des personnages qui lui filent entre les doigts. Chaque protagoniste émet ses propres incertitudes, personne ne vaque en paix.

Dans cette affaire où le soleil andalou fait réverbération au fil des pages, chacun y perd constamment ses plumes à commencer par l’auteur qui loin de se complaire comme beaucoup dans un exercice d’auto-valorisation, se décrit au contraire comme un homme qui tente sans trop de succès de contrôler vaguement des événements dans lesquels son destin le bringuebale. Attablé un jour avec l’une de ses compagnes, il nous restitue notamment un dialogue qui nous confirme l’impression que chacun cherche à entretenir un malaise étanche à toute percée de bonheur. La voilà qui l’interroge sur la réalité d’un plat de haricots et de poivrons farcis en se demandant si ce ne sont pas des piments, il lui lui explique que non car « pimientos » est un « faux ami » et elle de lui rétorquer du tac au tac : « comme toi ». L’ironie et le sarcasme sont là pour chasser toute idée de douceur. La bienveillance est rare. Que restera-t-il des errances de Bruno Sillard, il le dit lui-même: « un lit qui ne sera jamais chaud« .

La seconde partie de « La passagère du wagon-lit » est une succession d’histoires courtes dont le style sera familier aux lecteurs des Soirées de Paris. En particulier celle du « Kodak à soufflet » où Bruno Sillard ressuscite ses souvenirs de journaliste employé dans un journal régional. L’objectif de son appareil était « si limpide » se souvient-il,  « que la lumière qui le remplissait une fraction de seconde emmenait avec elle la beauté des choses dans toute leur finesse ». Bruno Sillard sait que son vieil appareil contient encore une ancienne pellicule de format six fois neuf. Mais, dit-il joliment, « jamais il ne faudra l’enlever, c’est son âme et on ne sait jamais de quoi peut être faite l’âme ».

Bruno Sillard (dr)

Bruno Sillard (dr)

Un jour au Cap-Vert il se fait définir ce qu’est la « saudade », la musique du coin, et on lui répond qu’elle exprime la « nostalgie de l’avenir ». Comme cette histoire arrive tout à la fin on comprend mieux quelque chose sur Bruno Sillard : seule lui manque la nostalgie du présent. Ce n’est pas illogique d’ailleurs, le présent ne se commente que derrière un micro. Le passé et l’avenir c’est bon pour les stylos.

PHB

Signature de «La Passagère du wagon-lit» (Editions unicité, 18 euros) au Centre culturel Christiane Peugeot, aujourd’hui mercredi 29 juin 2016 de 18 h 30 à 20 h 30, 62 av. de la Grande Armée, 75017 Paris, Métro Argentine.

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