Camille Henrot et Georges Rousse: l’art contemporain dans le Cantal

Photo : © Phoebé MeyerUne expédition dans le Cantal est souvent motivée par des désirs de grands espaces et de nature. Mais cette région de montagnes n’est pas oubliée des artistes et cet été l’art contemporain est particulièrement bien représenté. Tout d’abord au musée d’Art et d’archéologie d’Aurillac qui dans les belles salles des Ecuries et de la Sellerie présente deux expos de photos, l’une du FRAC Auvergne et l’autre, très onirique, de Manuela Marques. C’est en centre ville, vous ne pouvez pas les rater et c’est superbe !

(Photo ci-contre: © Phoebé Meyer)

Deux autres événements méritent de chausser ses croquenots et de partir explorer zones d’estives et village isolé. Notamment Anglars-de-Salers, mini bourgade située entre le puy Violent, le bien nommé, et Salers la touristique, qui met pour la sixième année son château médiéval à l’écoute de son époque en invitant un artiste à venir dialoguer avec ses vieux murs et ses tapisseries d’Aubusson (XVIe siècle). Ces dernières représentent un bestiaire fantastique qu’un Douanier-Rousseau n’aurait pas désavoué. Cet été, c’est Georges Rousse dont l’inspiration puise souvent dans les lieux à l’architecture tourmentée, ou comme ici chargée d’histoire, qui est venu investir les lieux. Dans les combles, espace vieux de six siècles, l’artiste a choisi d’évoquer le temps qui passe. Et quoi de mieux pour cela que des journaux conservés jour après jour, pour égrener le temps de son travail. Cette matière, faite de mots et d’images est collée sur le sol, les poutres et les murs. Mais l’artiste a supprimé toutes les illustrations en les recouvrant de peinture noire créant ainsi une installation très graphique.

Georges Rousse dans les combles. Ce que le visiteur ne voit pas exactement. © Galerie Claire Gastaud

Georges Rousse dans les combles. Ce que le visiteur ne voit pas exactement. © Galerie Claire Gastaud

Georges Rousse a conçu une œuvre à découvrir en deux temps. Celle, éphémère, que les visiteurs découvrent au sommet de l’escalier à vis et sa reconstruction photographique. Cette dernière présente l’installation comme une tapisserie abstraite dont les mots sont la nouvelle trame. Il inverse la lecture, à l’iconographie très parlante des tapisseries, il privilégie le mot. Une belle réflexion sur l’omniprésence de l’image dans notre société contemporaine à méditer dans le calme de ce grenier séculaire. Cependant, c’est cette photographie qui va voyager, transportant dans le temps et l’espace ce fragment d’Auvergne transfiguré. La rencontre entre l’artiste et les patients tapissiers d’Aubusson, fonctionne moins bien dans les salles où la juxtaposition des photos et dessins de l’un et des tapisseries des autres entre peu en résonance. C’est dommage, mais les beautés conjuguées du lieu, de son mobilier et de l’œuvre de Georges Rousse valent largement le détour. Avec en prime, le verger du Déduit, jardin contemporain dessiné par les architectes paysagistes Ossart et Maurières, inspiré du Roman de la Rose.

Pourquoi cette modernité dans ce petit village paumé et pas dans un autre ? Simplement parce que le maire, François Descoeurs s’intéresse à l’art contemporain et a pour ambition d’inscrire sa commune dans le monde actuel. Depuis six ans déjà, il confie à la galerie Claire Gastaud de Clermont-Ferrand le soin d’enchanter son vieux château. Et c’est effectivement magique !

Pour prendre la « claie » des champs, cap sur Pailherols, petite commune de 137 habitants, perchée à près de 1000 m d’altitude. C’est là que Camille Henrot, est venue implanter son œuvre qu’elle a baptisée, Ma Montagne. Non pas en forme de tentative d’appropriation pour cette new-yorkaise d’adoption mais d’hommage à toute une histoire, celle de l’agro-pastoralisme cantalien et notamment des buronniers. Car il s’agit bien d’un hommage à des pratiques disparues, celles des bergers qui gardaient les troupeaux en estive pendant de longs mois et fabriquaient le fromage (dont le Cantal) dans les burons, petits édifices de pierre indissociables du paysage de montagne.

A l’origine de cette œuvre il y a une belle expérience humaine. Celle d’un paysan de Pailherols, Jean-Paul Soubeyre, qui souhaitait perpétuer la mémoire de ces hommes mais sans sombrer dans un folklore facile. Il s’est dit que seul un(e) artiste saurait à la fois donner à cette histoire une dimension universelle et lui conférer une sorte d’éternité. Il s’est rapproché de l’association Sauvegarde des burons du Cantal qui, associée à la commune de Pailherols et au CAUE15 (Conseil d’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement du Cantal), a accompagné le projet. Et en partenariat avec la DRAC et la Fondation de France, ils ont ensemble, pendant six ans, avec un enthousiasme jamais démenti, bataillé pour faire aboutir le projet.

Le parc des claies à Pailherols. Photo: © Phoebé Meyer

Le parc des claies. Camille Henrot. Photo: Phoebé Meyer

Camille Henrot (Lion d’argent à la biennale de Venise en 2013) s’est aussi profondément investie dans cette histoire et après avoir arpenté la montagne et beaucoup écouté les anciens buronniers elle a choisi de décliner le thème des claies, ces barrières de bois qui fermaient (et ouvraient) les prés. Elle en a conçu une quarantaine, faisant éclater les formes géométriques simples du modèle pour recréer à chaque fois une claie-sculpture différente. L’ensemble compose un alphabet inspiré des trigrammes du Yi King, le Livre des transformations chinois, plaçant définitivement cette démarche mémorielle dans l’avenir. Pour suivre le lent cheminement des troupeaux, elle a placé ses claies le long d’un sentier de randonnée qui monte jusqu’à un parc où sont rassemblées vingt-cinq d’entre elles. Peintes en blanc, elles constellent la montagne le temps de l’estive, pour disparaître dans la neige en hiver. La commune est désormais dépositaire de l’œuvre, inaugurée le 10 juin 2016. On peut donc l’apprécier librement, et au rythme de ses pas, s’amuser à déchiffrer les formes des claies qui viennent multiplier les lignes de fuite d’un paysage infini.

Ce qui force l’admiration c’est la ténacité d’un groupe de personnes venues d’horizons différents pour faire aboutir un projet très ambitieux. Il faut écouter Marcel Bezombes, président de l’association Burons du Cantal raconter leur entrevue au Ministère de la Culture pour redonner tout son sens à l’expression « La foi déplace les montagnes ». Ici on ne les a pas déplacées mais on a magnifiquement transformé les regards.

Cet été et pour ceux à venir, l’imagination est au pouvoir, là haut sur la montagne, au plus près des étoiles.

Marie-Françoise Laborde

Le château de la Trémolière. Photo: MF Laborde

Le château de la Trémolière. Photo: MF Laborde

Château de la Trémolière. Anglars-de-Salers. 15320 Cantal. 04 71 40 55 72

Galerie Claire Gastaud

Ma montagne, œuvre de Camille Henrot  pour la commune de Pailherols et l’association Sauvegarde des burons du Cantal en hommage aux anciens buronniers, réalisée dans le cadre d’un partenariat entre la Fondation de France–action Nouveaux commanditaires et le ministère de la Culture et de la Communication au titre du soutien à la commande publique.

Pailherols. 15800 Cantal. Circuit d’environ 3 heures. Plan fournit par l’O.T. de Vic-sur-Cère et sur place

Burons du Cantal
Camille Henrot

Musée d’art et d’archéologie d’Aurillac. Centre Pierre Mendès France
37, Rue des Carmes. 15000 Aurillac. 04 71 45 46 10

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2 réponses à Camille Henrot et Georges Rousse: l’art contemporain dans le Cantal

  1. mister k dit :

    Deux très beaux voyages dans l’art actuel.

  2. de FOS dit :

    Merci pour la rando !

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