Reportage dans le filet

Lui s’est infiltré dans un abattoir, moins pour décrire la maltraitance animale, que pour rapporter les traumatismes subis par les ouvriers à la chaîne. Geoffrey Le Guilcher, carnivore comme beaucoup, a pris son courage par le manche du hachoir et s’est fait recruter en intérim dans une de ces boucheries industrielles qui font l’économie de la Bretagne, là où on abat dit-il, 600 bœufs et 8500 porcs par jour. Plutôt que d’en faire un article, il a rédigé non sans courage un livre-enquête, sorti récemment aux Éditions de la Goutte d’Or et assez justement intitulé « Steak Machine ».

Lorsqu’un lion dévore une gazelle, il ne se soucie guère de lui administrer un étourdissement préalable pas plus qu’il ne vérifie, comme c’est désormais la loi en France, si une « reprise de conscience » se fait jour avant l’égorgement. Il la dévore direct. Cela fait en général de beaux documentaires animaliers avec frissons inclus. Ce qui choque dans ces chaînes d’abattage c’est le côté industriel justement, lequel a vu le jour nous explique l’auteur, aux États-Unis. Sur le site où Geoffrey Le Guilcher s’est fait embaucher un mois d’été, il y a un mur construit pour éviter les curieux. Les intérimaires comme le journaliste n’ont pas le droit d’y travailler, mais son enquête nous en donne quand même beaucoup à voir par imagination. Au risque de faire des cauchemars par ailleurs, comme cela arrive à ceux qui y travaillent.

Vêtu comme un astronaute, il a fait le job, dégraissant les animaux au couteau, sur la « chaîne-bœuf ». Lui l’amateur de bavette déclaré nous décrit la puissante odeur du sang frais, celle des excréments, la chaleur et les impératifs de cadences car le marché a faim. Bretons, Sénégalais et autres nationalités sont là, hommes et femmes mais surtout hommes pour travailler si possible en CDI. L’un est juste là pour s’acheter une nouvelle Clio. Le journaliste ne prend pas de notes mais quand il entend des remarques significatives, il s’envoie des textos à lui-même et comme tout le monde envoie des textos de nos jours cela passe inaperçu. Geoffrey Le Guilcher constate au fil ds semaines que les ouvriers souffrent, de tendinites ou de mal de dos, mais que les arrêts de travail sont assez mal vus surtout si l’on veut faire carrière. Il cite un certain Pascal (il a modifié tous les prénoms) qui déclare avoir le dos foutu: « Moi j’ai eu six infiltrations et ça me fait plus rien (…) Moi de L1 à L5 (les lombaires), tous mes disques sont écrasés. »

Ce n’est pas un job pour intellectuels au long cours. Il ressort de cette expérience que l’usine d’abattage et de traitement de la viande requiert une forme physique hors-normes. Que pour décompresser en dehors des heures de travail, il faut du whisky ou de la drogue à fumer, sans compter les médicaments pour calmer les douleurs diverses. Évidemment lorsque l’on débute c’est plus dur et Geoffrey Le Guilcher doit acheter à la pharmacie des ceintures que l’on met au congélateur avant de se les apposer là où la tendinite fait souffrir.

Et puis il y a la « tuerie » à propos de laquelle on apprend qu’elle se décompose en quatre postes: « celui qui amène l’animal, celui qui tire une cartouche (étourdissante), celui qui accroche la bête et celui qui égorge ». Quand tout va bien nous explique le livre il y a un deuxième assommeur qui vérifie si la perte de conscience est acquise. Un animal sur cinq, dit-on, serait mal étourdi. D’après l’auteur il y aurait en outre une explication sur les cas de maltraitance dénoncés et condamnés ces temps derniers, fondée sur le fait que l’on tue plus facilement un ennemi qu’un être vivant anonyme: d’où la nécessité de le brutaliser.

Ce livre est à la fois une enquête et un reportage dans la mesure où Geoffrey Le Guilcher adjoint à ce qu’il voit, des données récoltées sur la filière viande. C’est écrit clairement, simplement, sans volonté apparente d’épater. Sur un mois il n’a sûrement pas tout appris, peut-être commis des erreurs d’appréciations, mais ce qui ressort de ce carottage en milieu extrême, est à tout le moins éloquent. Nous sommes sur l’étal.

PHB

« Steak Machine », Geoffrey Le Guilcher, Editions de la Goutte d’Or 12 euros

Vaches picardes au pré. Photo: PHB/LSDP

 

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Une réponse à Reportage dans le filet

  1. Merci Philippe de vous intéresser à cette question cruciale.
    Il est plus que temps d’apprendre à traiter les animaux comme nos égaux, donc d’arrêter de les traiter de la pire manière, à commencer par cesser de les tuer.
    Nous pouvons nous nourrir très bien sans eux, d’ailleurs on nous dit que bientôt les animaux ne pourront pas suffire à nourrir l’humanité et qu’il faudra adopter de nouveaux modes de nourriture. Adoptons les sans tarder!

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