Magique Breton, étonnant Arslan

« Dans une petite casserole, mettez 40/50 grammes de beurre, une demi-cuillerée de miel, trois cuillerées à café de sucre, une cuillerée à thé de sel, râpez dessus quatre grammes de savon et ajoutez une dizaine de gouttes de jus de tabac ; puis urinez dans la casserole (1/10 de litre à peine) {…} Mettez votre casserole sur le feu, juste avant ébullition ajoutez deux cuillerées de terre déjà préparées, laissez bouillir trois ou quatre secondes. Laissez refroidir un peu et ajoutez-y cinq blancs d’œuf. Videz le contenu de la casserole sur une grande feuille de papier, étalez le liquide avec une brosse et laissez le sécher prés de dix heures. Le lendemain, votre papier est pratiquement prêt pour la fabrication des artures. »

Les artures ? Pas sûr que le mot entre un jour dans le dictionnaire. Pensez à  “art“  et à littéra/ture, ou pein/ture, et peut-être même à ra/ture. Pour les surréalistes, le mot tout comme la recette ci-dessus, est lié à l’artiste d’origine turque Yüksel Arslan, autodidacte savant et inclassable, qui inventa le néologisme. Les artures désignent de grands panneaux où sont collés des dessins de différentes techniques, des écrits de provenances diverses, des graffitis, le tout rassemblé sous une thème commun d’ordre philosophique, poétique ou politique.

Disparu il y a quelques semaines à l’âge de 84 ans, Yüksel Arslan, créateur polyvalent et collectionneur obsessionnel, ne pouvait que séduire une personnalité comme André Breton qui avait souhaité l’intégrer à l’exposition internationale du surréalisme E.R.O.S. en 1959. Outre qu’il s’agisse de sa première présentation dans un musée français, sa présence dans l’exposition qui vient de débuter au LaM de Villeneuve-d’Ascq « André Breton et l’art magique », s’imposait. On y découvrira donc quelque-uns de ces artures que l’artiste réalisa méthodiquement tout au long de sa vie et qui forment un corpus de plus de 800 œuvres. Une photo relativement récente (ci-dessus) nous montre Yüksel Arslan dans son bureau des environs de Paris. On est frappé par la ressemblance avec la photo représentant André Breton dans son atelier de la rue Fontaine. Dans les deux cas, les mêmes accumulations, le même entassement. Comme si l’artiste avait horreur du vide. Comme s’il voulait s’approprier l’univers.

En dépit des apparences, Arslan ne peut être classé dans la catégorie de l’art brut, qui occupe une grande partie de l’exposition. On sait que Breton, bien avant que n’apparaisse le dénomination inventée par Dubuffet, fut très tôt passionné par les « irréguliers de l’art », en particulier ce qu’on appelait alors l’art des fous. Rappelons qu’ayant reçu une formation de médecin, il travailla en 1916 pendant près de six mois au centre neuro-psychiatrique de Saint-Dizier.

« Composition symbolique » de 1928 du peintre médiumnique (et mineur de fond) Augustin Lesage ph. C. Thériez  ©Adagp Paris 2017

Tout l’attirail du surréalisme bretonien se retrouve à Villeneuve d’Ascq : tableaux médiumniques d’Augustin Lesage, représentations oniriques de Victor Brauner, œuvres de collage, frottage, grattage et pliage de Simon Hentaï, photos maniaco-érotiques de Pierre Molinier et Hans Bellmer… jusqu’aux célèbres “cadavres exquis“ auxquels participèrent Max Ernst, Andre Masson ou Yves Tanguy. De quoi illustrer les obsessions du pape Breton.

L’ exposition qui consacre également une salle à Jean Dubuffet (on découvrira une toile de 1952 « Pain philosophique », récemment offerte au musée par une donatrice privée) intervient dix ans après la célèbre vente de l’atelier de la rue Fontaine d’André Breton, vente qui avait suscité pas mal de remous dans le milieu des collectionneurs, galeristes et conservateurs. Le musée de Villeneuve d’Ascq y avait acquis certaines pièces d’importance que l’on retrouve ici. Autre actualité : les quarante ans du centre Pompidou, prétexte à un nombre conséquent de manifestations artistiques dans plus de quarante villes françaises. Une preuve supplémentaire que la prédiction d’André Malraux qui, en 1966, annonçait la disparition de « ce mot hideux de province », s’est bel et bien réalisée.

Gérard Goutierre

LaM, musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 59650 Villeneuve-d’Ascq jusqu’au 17 septembre. Ouvert tous les jours sauf le lundi. Tél. 03.20.19.68.68

Photo d’ouverture: Yüksel Arslan dans son appartement de Saint Mandé en 2016 ©Eric Mérour

Pièces et objets réunis par Yüksel Arslan
© Gérard Goutierre

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