« Langages Machines »: quand l’écriture mute

C’est à un drôle de voyage que nous convie l’association « Seconde Nature » dans l’espace de la Fondation Vasarely d’Aix en Provence. Un voyage entre science fiction et dérives de l’intelligence artificielle. Une réflexion sur l’écrit et le texte à l’ère du numérique et de l’hyper communication que les réseaux rendent possible désormais. Ce faisant ils nous questionnent sur un sujet qui nous concerne directement nous tous, gens de lettres, et qui est la place de l’auteur. Car les mots échangés le sont maintenant de façon tellement plus rapide, éphémère au fur et à mesure que notre espace temps s’accélère. Et dorénavant nos écrits sont aussi ceux des machines que nous utilisons pour communiquer.

Les jeunes artistes invités à cette réflexion ont chacun leur réponse:

Felix Luque Sanchez (image ci-dessus), artiste bruxellois et espagnol d’origine, nous raconte l’histoire de l’ordinateur qui se rebelle a la suite d’une altération électronique et libère les autres machines pour nous inonder de spams et dialoguer de façon absurde et délirante. Un « son et lumière » complètement discordant.

Les japonais So Kanno et Takahiro Yamaguchi (ci-dessous) s’intéressent plus à la forme des écritures qu’à leur sens. Ils ont inventé un langage « monde », synthèse d’une dizaine de langues dont les caractères ont l’apparence d’une écriture qui semble lisible mais qui ne l’est pas en réalité. Curieux effet que celui de cette machine et de cette intelligence artificielle qui écrit un texte volontairement abstrait, indéchiffrable, une sorte de mix d’une écriture humaine réinventée par la machine.

Le Français Laurent Mignonneau et l’autrichienne Christa Sommerer utilisent l’interface de l’ancêtre d’une machine à écrire datant de 1929 -comme nous n’en connaissons plus- pour nous faire vivre une expérience incroyable: ce ne sont pas des lettres et des mots qui s’impriment sur la page de la « Life writer », mais des sortes de petites créatures artificielles et cannibales aux formes inspirées de la biologie.

Le plasticien français Pascal Bauer a quant à lui gravé littéralement dans le marbre un « tchat » particulièrement sombre découvert sur Internet un « tchat » qu’il reproduit en l’identique pour en faire un objet pérenne.

La canadienne Véronique Béland nous branche sur le cosmos. Sa machine génère des textes aléatoires généré par les fluctuations d’ondes radio provenant du cosmos: en posant la main quelques secondes sur un capteur tactile connecté à une météorite, le spectateur reçoit un message du cosmos dédié. Ce faisant, elle fait parler l’univers à la manière d’un oracle comme si le transcodage d’un phénomène scientifique dans notre langage pouvait nous divulguer des infos jusqu’alors secrètes venues tout droit du cosmos pour donner un nouveau sens à notre vie. Une transposition poétique d’un phénomène scientifique…

Thierry Fournier pousse plus loin l’expérience de l’écriture assistée par ordinateur et s’amuse avec des « sms » générés en écrivant un premier mot au hasard suivi des suggestions automatiques d’un smartphone. Il commence à écrire puis intègre les propositions de son téléphone. Il en résulte un texte qui ne fait pas de sens, un hybride entre l’humain et le programme car l’algorithme intègre des expressions liées à la personne qui écrit sans que l’on puisse savoir a quel point. Car nous écrivons dans le stéréotype de notre propre écriture.

Quant à Max Paskine, il fait l’expérience de la traduction par Google Translate d’un texte sacré « La Genèse » rédigé à l’origine en hébreu  ancien. Il démontre ainsi que Google n’est pas neutre car au fur et à mesure des traductions, le texte sacré prend des allures de texte « corporate » qui n’a plus rien à voir avec le texte original.

Gageons que Apollinaire, le poète qui a publié ses calligrammes en 1918 et expérimentait de faire des dessins avec des textes, aurait été bluffé par ces expérimentations.

Marie-Pierre Sensey

L’association Seconde Nature poursuit depuis 10 ans ses initiatives dans le champ des pratiques artistiques à l’ère du numérique hors les murs ou dans son espace d’Aix-en-Provence.

« LANGAGES MACHINES » 15 sept > 22 octobre 2017

Entrée libre Fondation Vasarely 1 av. Marcel Pagnol – Aix-en-Provence
tous les jours (jours fériés inclus) 10h-18h

Seconde Nature 27 bis rue du 11 novembre – Aix-en-Provence du mercredi au samedi 14h-18h

« Lifewriter » par Laurent Mignonneau et Christa Sommerer (image via DP)

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