Dans l’antre de la création

Une Master class est l’occasion, pour le spectateur privilégié, de se glisser subrepticement dans l’antre de la création. “Un cours magistral donné par un artiste de renom”, telle est la définition proposée par le Larousse. Le dictionnaire, par ailleurs, cite en exemple les célèbres leçons de chant prodiguées par la Callas dans les années 70, à la fin de sa vie, à la Julliard School de New York. Celles-ci eurent un tel retentissement qu’elles furent, par la suite, souvenez-vous, le sujet d’une pièce de théâtre à succès de l’Américain Terrence Mac Nally : “Master Class” (1995), mise en scène l’année suivante par Roman Polanski, à Paris, au Théâtre de la Porte Saint Martin, avec Fanny Ardant dans le rôle de la diva. La Master class peut bien évidemment s’appliquer à nombre de domaines artistiques, dont celui de l’art dramatique.

Le Foyer, école de formation d’acteur professionnelle fondée en janvier 2015 par trois comédiens – Jean-Laurent Silvi, Arnaud Denis et Axel Blind – propose, depuis sa création, des Master class ouvertes au public et gratuites. Ainsi, dans un bel esprit de transmission et de partage, se sont succédé sur le plateau du Théâtre Trévise comédiens, metteurs en scène, auteurs et réalisateurs de renom : Claude Aufaure, Maxime d’Aboville, Nicolas Briançon, Jean-Claude Dreyfus, Marcel Philippot, Patrice Kerbrat, Hans-Peter Cloos, Michel Fau, Jean-Luc Moreau, Alexis Michalik, Nicolas Vaude, Béatrice Agenin, Ladislas Chollat, Patrice Leconte, Davy Sardou, Thierry Harcourt, Anne Bouvier et Daniel Colas.
 

À la croisée des chemins entre Les écoles d’acteur de la Comédie-Française et les désormais mythiques Master class du grand Jean-Laurent Cochet – les co-fondateurs de l’école sont d’ailleurs tous trois issus du cours Cochet, ce qui n’est très certainement pas un hasard –, celles du Théâtre Trévise se déroulent selon le principe suivant : une interview de l’intervenant d’une durée d’une heure, avec éventuellement des questions d’élèves – rappelant en cela la très populaire émission américaine “Inside the Actors Studio” conçue et animée par James Lipton –, suivie de deux heures de travail de scènes avec les apprentis comédiens, devant une salle de 300 places apparemment toujours comble et composée, dans les premiers rangs, des élèves de l’école, puis, d’un public lambda, curieux et intéressé.

En ce vendredi 3 novembre, Xavier Gallais se prêtait généreusement à l’exercice. Comédien et metteur en scène, ancien élève du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, le quadragénaire enseigne désormais à son tour depuis 2013 dans cette vénérable institution. C’est dire que l’enseignement et la formation de l’acteur ont pour lui leur importance. Face aux questions de Jean-Laurent Silvi, le comédien nous raconte son parcours, nous fait part de sa conception du métier (au théâtre, au cinéma à la télévision…), de ses joies comme de ses difficultés, des grands rôles qui ont compté pour lui (Le Prince de Hombourg, Ruy Blas…), des maîtres qui l’ont nourri dans son jeu théâtral (l’incontournable Stanislavski dont il a entreprit la lecture très jeune et qui ne l’a pas lâché depuis, mais également un maître de cérémonie du thé ou encore Daniel Mesguich dont il fut l’élève au Conservatoire.) L’échange, on ne peut plus passionnant, se déroule dans une ambiance sereine, en toute simplicité et honnêteté. Cette première partie est déjà en soi une leçon de théâtre, loin de tous les discours promotionnels auxquels nous convient les médias.

Puis, nous arrivons pour ainsi dire, dans le vif du sujet. La Master class à proprement parler. Une liste des scènes alors en cours d’étude est soumise à Xavier Gallais qui en choisit une au hasard, ou plus probablement selon ses appétences littéraires. Précisons que les scènes ont été très peu répétées en amont, tout l’intérêt de l’exercice résidant justement dans le fait de présenter un travail non abouti, quasi brut, pour qu’il y ait matière à travailler. Le choix de Xavier Gallais se porte tout d’abord sur un extrait de “La Ménagerie de verre” de Tennessee Williams, une scène entre Tom et sa mère lors de laquelle cette dernière empêche son fils de sortir et où les deux protagonistes échangent des reproches bien sentis. Deux jeunes comédiens, Pierre et Marguerite, passent donc leur scène. Celle-ci semble se dérouler en un éclair. Les deux interprètes, sans être pour autant mauvais, débitent leur texte à toute allure, s’aboyant dessus à qui mieux mieux, se coupant la parole, bougeant dans tous les sens… Une tornade de mots et de mouvements qui laisse le spectateur pour le moins perplexe et dubitatif. A leur décharge, l’exercice est loin d’être facile et ce qui va suivre, encore moins. Les deux jeunes gens sont tombés dans le piège de la caricature.

Xavier Gallais – et c’est là que son travail de pédagogue force l’admiration tellement la tâche est loin d’être aisée et donnée à tout le monde – va, avec beaucoup d’écoute, de douceur, d’intelligence et de sensibilité, aider les jeunes comédiens à déconstruire la scène pour mieux la reconstruire ensuite. Sans aborder le travail des personnages qu’il leur conseille de mener à part ultérieurement en parallèle, il va les débarrasser de leurs a priori, les conduire au lâcher prise. Se recentrant sur l’objectif, il va les mener à ne pas jouer, à vivre réellement la situation, sans se sentir obligés de “produire” quelque chose, à travers le texte, mais aussi le sous-texte. Petit à petit, nous voyons sourdre une subtilité dans l’interprétation, se déployer devant nous différentes couches de jeu fort intéressantes, à des années-lumière de la première présentation une heure auparavant.

Xavier Gallais insiste sur l’importance d’apprendre à “déplacer” son partenaire (son point de vue, son émotion) et de travailler sur la respiration et la détente pour faire surgir l’émotion. Il ne leur a rien imposé, mais s’est contenté – si l’on peut dire – de les orienter, de les révéler à eux-mêmes en quelque sorte. Ainsi guidés par le maître, Pierre et Marguerite ont désormais les bonnes bases pour travailler leur scène en profondeur et trouver leurs personnages. Insistons sur l’extrême difficulté de l’exercice, tant du côté du professeur que de celui de l’élève. Cet exercice qui habituellement se déroule en vase clos, dans l’intimité d’une répétition, est offert au public, bienveillant certes, mais toujours critique. Il demande donc un énorme lâcher-prise, une écoute et une grande confiance en l’autre (le professeur, le partenaire). Un peu comme des acrobates sans filet. Et si le spectateur invité a pu être empreint d’un certain scepticisme au départ, il repartira étonné et ravi du petit miracle accompli. Et curieux de voir un jour la pièce entière jouée par les deux protagonistes.

Pour la deuxième scène, le choix de Xavier Gallais se porte sur un extrait de “Roberto Zucco” de Bernard-Marie Koltès, la scène sur le quai de gare entre le serial-killer et la dame élégante. Au demeurant Xavier Gallais connaît bien la pièce qu’il interpréta en 2004 sous la direction de Philippe Calvario. Là encore le pédagogue procède à la déconstruction, au lâcher prise. Ne pas fixer les choses pour se laisser constamment surprendre, règle d’or de la création théâtrale. Par petites touches, il aide les comédiens à créer un lien entre les personnages, à remplacer une brutalité de façade par une violence plus étouffée, plus maîtrisée. En les incitant à ne pas se regarder directement dans les yeux – sans pour autant se lâcher du regard -, à éviter les gestes parasites et à respecter strictement un texte contemporain certes mais extrêmement écrit, il recentre la tension de la scène et fait surgir l’émotion. Là encore, nous aimerions que la scène continue. Du beau travail ! Du grand art !

Pour finir la séance, Xavier Gallais fait monter tous les élèves sur scène et consacre les dix minutes restantes à un exercice collectif de connexion.
Vous l’aurez compris, cette Master class fut bien plus qu’une leçon de théâtre : une leçon de vie et de générosité. Les spectateurs, tout comme les élèves, ont dû mettre leurs a priori et préjugés de côté et s’émerveiller du travail accompli. Apprendre à faire confiance, tel est le credo à retenir de cette expérience. Un bel enseignement en ces temps de repli sur soi et d’egos surdimensionnés. Quant à Xavier Gallais, il est tout aussi bon pédagogue que comédien et ses élèves du Conservatoire ont bien de la chance.
Les Master class au Théâtre Trévise, une affaire à suivre…

Isabelle Fauvel

Les Master class au Théâtre Trévise 14, rue de Trévise 75009 Paris, une fois par mois de 10h à 13h :

 

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