A l’ombre de Jean Vilar

L’été est aussi la saison des festivals en plein air et l’occasion de découvrir des spectacles dans un cadre parfois des plus idylliques, du beau château médiéval à la placette de hameau. C’est dans le jardin d’une grand-mère, celle de Lazare Herson-Macarel, situé à Fontaine-Guérin, petit village du Maine-et-Loire, que fut créé, en 2009, par une jeune troupe de comédiens et metteurs en scène, un festival pas comme les autres : le Festival du Nouveau Théâtre Populaire. Idéaliste et fidèle à la pensée de Jean Vilar selon laquelle le prix ne doit pas être un frein à la culture, la belle équipe choisit d’établir le billet au tarif unique de 5€. Un véritable défi économique ! Le NTP, comme on l’appelle depuis familièrement, fêtait ce mois d’août ses dix ans. Une belle histoire totalement improbable qui perdure…

Ils étaient jeunes, talentueux, sympathiques, généreux, bouillonnants d’énergie… et le sont restés. Antoine, Baptiste, Claire, Clovis, Émilien, Joseph, les deux Julien, Lazare, Léo, Morgane, Pauline, Sacha, Sophie, Valentin… Près d’une vingtaine d’artistes, pour certains encore élèves au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris ou au TNS de Strasbourg, qui se sont rassemblés un beau jour pour faire partager leur amour du théâtre et monter des classiques en défiant les contraintes économiques de notre époque, qui plus est dans une région où le spectacle vivant est plutôt morne plaine. Une gageure ! Tout est à faire, mais cela ne les effraie pas. Bien au contraire. Ils y croient et ne ménagent pas leur peine. Ils s’occupent de tout : le choix des pièces et de la distribution, l’adaptation – il y en aura toujours au moins une par édition pour le traditionnel spectacle jeune public, très prisé des petits… et des grands – la mise en scène, les décors, les costumes… Ils construisent une scène en bois surélevée, avec trappe, baptisée “le plateau Jean Vilar” en hommage à leur mentor, installent des sièges dans l’herbe… Les soirs de représentation, ils tiennent la billetterie, la buvette et déchirent les billets, comme chez Mnouchkine.

La première édition a lieu du 15 au 23 août 2009 avec, au programme, trois spectacles joués en alternance – la troupe, l’alternance, tiens, on se croirait à la Comédie-Française – : “Le Misanthrope”, “Roméo et Juliette” et “Petit et Grand” d’après un conte d’Andersen. 16 représentations qui réuniront au total 762 spectateurs. Pour une première tentative et une communication des plus minimes, c’est un succès. D’autant plus que le public, même si encore peu nombreux, a été véritablement conquis. La jeune troupe décide donc de renouveler l’expérience l’été suivant, avec deux reprises (“Roméo et Juliette” et “Petit et Grand”) et trois créations : “Le Cid”, “Le Songe d’une nuit d’été” et “Le Chat botté”. 23 représentations et … 1832 spectateurs ! Le bouche à oreille a commencé à fonctionner. Un public enthousiaste qui attend de pied ferme la prochaine édition. C’est décidé, l’entreprise est vouée à perdurer. Chaque deuxième quinzaine d’août voit donc reprises et créations se succéder : “Ruy Blas”, “Macbeth”, “Le Cercle de craie caucasien”, “Pelléas et Mélisande”, “Othello”, “La Dame de chez Maxim”, “Partage de midi”… Le jeune public a aussi son rendez-vous annuel avec des représentations en matinée qui enchantent tout autant leurs parents et grands-parents que des adultes venus sans enfant: “Je me métamorphose” d’après Ovide, “La vie très horrifique du Grand Gargantua” d’après Rabelais ou encore “Little Nemo” d’après la célèbre bande-dessinée feuilletonesque de l’Américain Winsor McCay, “Little Nemo in Slumberland”.

Les Grandes Espérances au NTP

En dix éditions, le festival est passé de 700 à 10 000 spectateurs ! Le petit jardin est devenu un grand théâtre. Aux grands classiques se sont ajoutées des créations plus contemporaines ainsi que des lectures. Mais le succès ne se mesure pas qu’en chiffres, même s’il est désormais indispensable de réserver. Le festival s’est bien évidemment professionnalisé : les membres de la troupe ont abandonné leurs sacs de couchage pour loger chez l’habitant, le parking mitoyen de la supérette prévoit des places pour les spectateurs handicapés, des couvertures sont distribuées au public pour palier la fraîcheur du soir, la billetterie est devenue électronique, le plateau a été rénové, la jauge agrandie (environ 500 places), les gradins sont désormais numérotés, la technique est plus élaborée…

Mais, avant tout, un lien s’est tissé avec la population qui ne saurait désormais se passer de son festival. Et de nombreux bénévoles s’investissent chaque année toujours davantage tant dans l’organisation, l’accueil du public que la figuration si besoin.
En 2012, à la mort de la grand-mère, la propriété risque d’être vendue. Le public se mobilise alors pour sauver l’entreprise. Les fidèles spectateurs participent à une campagne de financement destinée au rachat du lieu par la communauté de communes qui le met ainsi à la disposition du collectif. Des subventions viennent compléter une économie fragile. Depuis, les actions artistiques et éducatives ne cessent de se succéder durant l’année, certains membres de la troupe étant quasiment installés dans la région.

Si aujourd’hui le lien entre le public et la troupe est suffisamment fort pour que celui-ci revienne tous les ans, les questions économiques qui, dans un premier temps, avaient été mises de côté se sont imposées à l’équipe qui souhaite pérenniser le festival, continuer à monter des spectacles avec dix-huit comédiens au plateau comme c’est le cas cette saison avec “Splendeurs et misères des courtisanes”, sans pour autant abandonner son tarif démocratique de 5€. Cette année, elle a donc tenté une expérience des plus originales en établissant un tarif “au choix” (du spectateur) : 5€, 10€ ou 15€, sans pour autant catégoriser les places. “Dans un idéal de démocratisation culturelle, nous pratiquons depuis 2009 un tarif unique de 5€ la place. Aujourd’hui, pour préserver le festival, nous proposons une nouvelle tarification où chacun peut choisir le prix de sa place sans avoir à justifier de sa situation. ” Par ailleurs, le traditionnel chapeau placé près de l’entrée permet toujours aux spectateurs qui le souhaitent d’ajouter une contribution.

En 2018, le NTP, qui décidément n’a peur de rien, a pris le parti de la singularité en célébrant son dixième anniversaire autour d’un auteur unique et, qui plus est, fort inattendu au théâtre, un des maîtres du roman français : Balzac (1799-1850). Là encore un pari réussi qui a nécessité un travail monstrueux. “Illusions perdues” (ci-contre), “Splendeurs et misères des courtisanes” et “La Peau de chagrin” étaient ainsi au programme avec, en première partie de soirée, lors d’un apéritif-dîner champêtre des plus informels, une “Duchesse de Langeais” dont des bribes nous étaient présentées à tour de rôle en trois volets thématiques : “Amour”, “Bestiaire” et “Au-delà”. “Honoré, vie balzacienne”, spectacle sur la vie du romancier, venait compléter cet hommage tandis que le jeune public était invité à découvrir l’univers de Dickens à travers “Les Grandes Espérances”. Cette 10ème édition, programmée du 18 au 31 août, avait, par ailleurs, joué les avant-premières en montrant “La Peau de chagrin” lors d’une “Tournée des battages” (27 juillet-11 août) et jouera également les prolongations lors d’une “Tournée des vendanges” (7-16 septembre).

Si la plupart des membres de la troupe mènent également une carrière parisienne, le rendez-vous de Fontaine-Guérin reste on ne peut plus sacré. Fidèles à eux-mêmes, ils se donnent toujours autant avec un enthousiasme et une générosité qui ne se démentent pas, allant jusqu’à jouer plusieurs personnages par spectacle, dans un esprit immanquablement bon enfant. Les représentations sont rythmées par le tintement du clocher tors – clocher atypique, recouvert d’ardoises et curieusement vrillé, lui donnant une jolie forme de flamme – qui sert invariablement de décor et contribue au charme de ce lieu champêtre. Sous la lune, la magie opère infailliblement et c’est pour le bonheur de tous que, dans une époque des plus mercantiles qui semble soudain ne plus exister, résonnent avec talent les mots de Molière, Claudel ou Balzac, dans une belle idée d’équité et de partage.
C’est bien évidemment avec curiosité et envie que nous attendons les dix prochaines éditions. Alors, un très joyeux anniversaire au NTP et à très vite !

Isabelle Fauvel

Un programme et le clocher tors de Fontaine-Guérin ©I.Fauvel (à droite)

Festival NTP 8 Rue Célestine Garnier Fontaine-Guérin 49250
La troupe du NTP 

La Tournée des vendanges, du 7 au 16 septembre, avec “La Peau de chagrin” :
le 7 à l’Amphithéâtre gallo-romain de Gennes,
le 8 au Château de Jarzé,
le 14 au Château de Montsoreau-Musée d’art contemporain,
le 15 au Château de la Roche-Morna à Sainte-Gemmes-sur-Loire,
le 16 aux Halles de Beaufort-en-Anjou.
2ème quinzaine août 2019 : 11ème édition du Festival NTP Fontaine-Guérin

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