L’improbable musée

Rue des Archives, dans un élégant et spacieux hôtel particulier du Marais, résultant de la réunion de l’hôtel de Guénégaud (XVIIème siècle) et de l’hôtel de Mongelas (XVIIIème siècle), se trouve un musée des plus atypiques : le musée de la Chasse et de la Nature. Si l’appellation a de quoi rendre dubitatifs les non chasseurs – les deux termes pouvant sembler, au premier abord, pour le moins antinomiques -, ce lieu est, en réalité, tout autre chose que ce que à quoi on pourrait s’attendre : une “maison d’amateur d’art d’un genre particulier”, dirons-nous, telle que l’ont souhaitée ses créateurs François et Jacqueline Sommer, à travers leur fondation, lors de sa création à la fin des années soixante. Si l’endroit semble peu à peu trouver sa place dans le paysage culturel parisien, en attirant notamment les férus d’art contemporain, il reste encore injustement trop méconnu du grand public.

Photo ci-dessus: « PixCell-Deer » de Kohei Nawa »

Les pièces, nombreuses, à la dénomination toute thématique, se succèdent, comme dans un château : la Salle du Sanglier, celle du Cerf et du Loup, la Salle avifaune avec son insolite ours blanc et sa non moins déroutante carcasse de voiture, celle des Trophées ou encore la Salle d’armes, le Salon Bleu, le Salon de Compagnie, celui de Diane, le Cabinet de la Licorne, celui des Chiens… Les œuvres d’art, de belle facture, qu’elles comprennent, et qui constituent la collection permanente, sont des plus variées : peintures, dessins, sculptures, tapis, tapisseries, orfèvrerie, céramiques, armes, trophées, armures, meubles, objets d’art… Aux œuvres d’art ancien viennent s’ajouter des œuvres modernes et contemporaines, proposant par la même occasion d’autres formes de création (photographies, installations, vidéos…), le tout présenté dans une muséographie des plus originales associant les œuvres à des animaux naturalisés.

Cette juxtaposition de sujets, de formes et d’époques fait toute la singularité de ce lieu si délicieusement inclassable, unique en son genre, comme si on y avait assemblé dans une belle fantaisie les éléments d’un cabinet de curiosités, d’une caverne d’Ali Baba, de la Grande Galerie de l’Évolution et d’une galerie d’art contemporain avec, comme dénominateur commun, l’animal. Et, au-delà de l’animal, les différents aspects de la relation que l’homme entretient avec l’animal et l’espace naturel. La déambulation s’effectue le plus souvent sous une lumière tamisée, chaude, qui confère à l’ensemble un petit air cosy.

Dans son ouverture à l’art contemporain, le musée passe commande à des artistes invités et organise des expositions temporaires. Ces dernières années, ont ainsi répondu présents, pour n’en citer que quelques-uns, Françoise Pétrovitch, Marlène Mocquet, George Shiras, Sophie Calle ou encore dernièrement Gérard Garouste, ce dernier s’étant intéressé tout particulièrement au mythe de Diane et Actéon – rappelez-vous : un jour qu’il chasse avec ses chiens, Actéon, un jeune chasseur très habile, tombe par hasard sur Diane prenant son bain nue. Pour le punir de son méfait, la déesse de la chasse le métamorphose en cerf. Actéon est alors dévoré par ses propres chiens –. On l’aura compris, toutes les œuvres présentées momentanément entrent en résonance avec celles de la collection dans un beau souci d’harmonie alliant le contemporain à l’ancien. En 2014, Abraham Poincheval poussa même l’expérience jusqu’à habiter un ours naturalisé pendant treize jours !

Salle du sanglier ©Musée de la chasse et de la nature

Le musée de la Chasse et de la Nature présente actuellement une exposition temporaire, “Country Life, Chefs-d’œuvre de la collection Mellon du Virginia Museum of Fine Arts ”, une installation “Forêt et cueillettes”, proposée par l’atelier le balto et présentée dans la cour du musée, un projet artistique polymorphe de l’artiste plasticienne franco-polonaise Angelika Markul, “Tierra Del Fuego”, ayant pour sujet la disparition d’un paysage de glaciers  à l’extrême-sud du continent sud-américain ainsi que des œuvres du Japonais Kohei Nawa. L’offre est, on le voit, on ne peut plus variée.

Si la notion de chef-d’œuvre dans “Country Life, Chefs-d’œuvre de la collection Mellon du VMFA ” est ici parfois discutable, l’exposition n’en est pas moins plaisante et non dénuée d’humour. Hennissement en guise d’accueil, boxes dans lesquels sont exposés non pas des chevaux, mais des tableaux. La mise en scène – scénographie d’Antoine Platteau, directeur de la Décoration de la maison Hermès – est indéniablement au rendez-vous pour la réunion de ces quelque quarante œuvres issues de la collection de ce couple d’Américains fortunés s’adonnant aux plaisirs de la country life dans leur domaine d’Oak Spring en Virginie. Monsieur fut un cavalier émérite, passionné de chevaux et de sports équestres, avec un goût prononcé pour l’école anglaise et la “sporting painting”. Ses peintres animaliers préférés se nomment John Wooton, Georges Stubbs, Thomas Gooch, James Ward, Richard Barrett Davis, John Frederick Herring ou encore Sir Alfred James Munnings.

Madame, elle, s’occupait d’horticulture et son goût allait tout particulièrement à la peinture française, notamment impressionniste. Pour l’anecdote, elle avait même disposé un tableau de Van Gogh dans sa salle de bains, juste au-dessus de sa baignoire. Caillebotte, Bonnard, Monet, Morisot, Dufy… sont ainsi présents grâce à elle.
Si le musée de la Chasse et de la Nature, vous l’aurez compris, n’a pas pour vocation de faire l’apologie de la chasse, il s’est, en revanche, donné pour mission, à travers ses expositions, mais également les divers événements qu’il organise, comme, par exemple, le Salon du livre “Lire la nature” dont la troisième édition se tiendra en janvier prochain, mais aussi sa revue “Billebaude”, de nous faire redécouvrir la nature. Attaché à la conservation des écosystèmes et à la construction d’une relation apaisée entre l’homme et la nature, il s’agit là d’un musée plus “nature” que “chasse” en quelque sorte.

Alors si vous aimez sortir des sentiers battus et ne connaissez pas encore ce musée, si le ton décalé ne vous fait pas peur, nous ne pouvons que vous inciter à en pousser la porte.

Isabelle Fauvel

Musée de la Chasse et de la Nature 62, rue des Archives 75003 Paris
“Country Life, Chefs-d’œuvre de la collection Mellon du Virginia Museum of Fine Arts”, du 4 septembre au 2 décembre 2018.
Salon du livre “Lire la nature”, 3ème édition samedi 19 et dimanche 20 janvier 2019.

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