Parfum de chlore

Les hommes ne sont pas tous des héros. De cette évidence sur ceux qui ont manqué le train de la réussite et loupé le rôle du mari parfait, Gilles Lellouche en a fait un film assez réussi, à partir d’une histoire vraie. Soit un aréopage de baltringues déprimés, ventripotents, fumeurs de joints et buveurs de bière qui vont trouver leur salut en se lançant dans la natation synchronisée. Dans un fort parfum de chlore, « Le grand bain » pose sa caméra sur les gradins des bassins et plus globalement sur ceux que l’on réserve aux laissés-pour-compte, à ceux « qui ne sont rien« , pour reprendre l’expression récente d’un monarque.

Ce groupe d’hommes n’est pas sans évoquer « Beautiful losers », le livre d’un certain Leonard Cohen mais la comparaison s’arrête au titre. D’ailleurs ils ne sont pas si beaux que ça mais c’est justement ce qui les rend touchant quand ils font face à l’une de leurs instructrices dans leur slip de bain fonctionnel. Ils sont gauches, empruntés et franchement dès le départ, le film a du mal à vendre l’idée qu’ils vont exceller dans l’activité de groupe contraignante qu’est la nation synchronisée. C’est même toute l’astuce. Ils sont l’un après l’autre, sauf peut-être Guillaume Canet, l’antithèse de l’homme viril qui dit « what else » après avoir bu son café, le symétrique inverse des héros de films américains. Et chacun s’attribue parfaitement son personnage au contraire par exemple d’un Delon qui restait toujours Delon quoiqu’il arrivât.

La direction d’acteurs n’a pas non plus manqué ce qui fait que l’une des bonnes surprises vient notamment de Jean-Hugues Anglade enfin sorti de son personnage éternel des années quatre-vingts. Il joue le rôle d’un musicien raté qui vit dans un camping car et qui cachetonne dans des concerts miséreux quand il ne travaille pas dans une cantine scolaire. C’est sa fille adolescente qui finit par lui dire un jour qu’il ne sera « jamais David Bowie » et la façon dont Anglade l’admet prouve que cet acteur s’est singulièrement bonifié avec le temps.

L’autre argument de cette comédie originale c’est que l’environnement féminin est, du moins en apparence, dominant. Elles sont aux commandes, parfois maltraitantes et doivent composer dans leur vie privée avec ces hommes qui se font virer ou s’approchent de la faillite, en tout cas coincés dans une situation qui ne suscite pas l’admiration. L’objectif -fou- consistant à participer à une compétition de natation synchronisée réunit donc toutes sortes de destins différents avec un bon substrat dépressif comme dénominateur commun. Entre chaque entraînement ils font conclave dans les vestiaires en fumant des joints et tout en échangeant leurs expériences d’hommes ratés. Nous spectateurs pourrions nous aussi se laisser gagner par cette atmosphère désespérante si l’histoire n’était ponctuée de saillies drolatiques et de situations gentiment cocasses.

Virginie Efira, Marina Foïs ou encore Leïla Bekhti sont épatantes. Elles méritent chacune leur brevet de maître-nageur-sauveteur face à ces hommes pas loin de couler à pic. La bonne conduite du film fait que la mayonnaise prend très vite sans jamais céder à l’avalanche toujours possible de bons sentiments. Le happy-end, attendu, ne paye pas beaucoup par sa subtilité mais c’est la rançon méritée de ce genre de scénario.

PHB

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