La singulière signature de Vivian Maier

Sur plus de cent mille clichés potentiels, ce qui nous est donné à voir peut sembler un peu chiche. Il faut dire que les œuvres en couleur de Vivian Maier présentées par la galerie Les Douches dans le dixième arrondissement n’occupent que deux pièces de taille moyenne. Or il faudrait un (grand) musée pour faire tenir une rétrospective complète. L’échantillon ainsi resserré donne néanmoins une bonne mesure de cette photographe apparue par surprise en 2007 à la faveur d’un hasard de vente à l’encan. En effet, c’est d’abord l’histoire d’un jeune américain de 25 ans qui cherchait des illustrations sur un quartier de Chicago. John Maloof acquiert un jour aux enchères un carton de mystérieux négatifs. Se rendant compte progressivement et après consultations de la valeur de son trésor, il se débrouillera par la suite afin d’acquérir la quasi-totalité d’une artiste jusqu’alors inconnue.

L’histoire est longue mais on peut tenter de la résumer. Vivian Maier est née aux États-Unis en 1926 d’un père américain et d’une mère française. C’est par l’entremise d’une amie de sa mère qu’elle sera initiée à la photographie. Sa vie a été reconstituée par John Maalof. Son origine familiale se situe à Saint-Julien-en-Champsaur dans les Hautes-Alpes. Mais Vivian naît en Amérique et après la séparation du couple, vit auprès de sa mère. Cependant qu’une partie de son enfance se déroule en France ce qui fait qu’elle parle aussi la langue de Voltaire. Elle aura d’ailleurs l’occasion de revenir dans la patrie maternelle. Mais c’est outre-Atlantique qu’elle va vivre, comme gouvernante auprès d’enfants. Et c’est dans la discrétion la plus totale qu’elle se livre à sa passion, la photographie de rue. Son art se distingue par les choix originaux de ses sujets et sa façon de les cadrer. Une autre de ses caractéristiques et non des moindres ce sont ses auto-portraits qu’elle inclut dans ses prises de vues. Ce faisant et probablement sans préméditation elle les rend identifiables au moyen de cette singulière signature.

De ce que l’on peut voir à la galerie Les Douches, elle apparaît ainsi dans un rétroviseur d’automobile, dans un plat métallique en vitrine, un miroir de surveillance d’un magasin ou encore via une ombre sur un trottoir. Ce devait une forme de jeu pour elle et cela en devient un pour nous. De l’avis des spécialistes c’est bien une grande photographe qui est apparue depuis quelques années à la faveur d’une résurrection qui attise la curiosité. Ses photographies en couleur et celles en noir et blanc sont en effet assez convaincantes. D’abord pour la part d’humain qu’elle sait déceler au hasard d’une scène de rue, d’une paire de jambes dont une en plâtre, d’un crâne couronné, d’un pansement ou quelques fleurs dans un cabriolet. Et aussi pour un mélange de dérision et de gravité lorsqu’elle s’inclut dans le champ de son optique ce qui était aussi une façon toute simple mais clandestine d’exister. Vivian Maier n’a pas de toute évidence, cherché la notoriété et selon différents témoignages, elle s’est contentée de laisser un souvenir impérissable aux enfants dont elle avait la garde.

Sa fiche Wikipédia mentionne d’ailleurs que les deux garçons (les frères Gensburg) dont elle s’est occupée entre 1956 et 1972, avaient laissé la notice nécrologique suivante à sa mort en 2009: « Vivian Maier, originaire de France et fière de l’être, résidente à Chicago depuis ces cinquante dernières années, est morte en paix lundi. Seconde mère de John, Lane et Matthew. Cet esprit libre apporta une touche de magie dans leur vie et dans celles de tous ceux qui l’ont connue. Toujours prête à donner un conseil, un avis ou à tendre une main secourable. Critique de film et photographe extraordinaire. Une personne vraiment unique, qui nous manquera énormément et dont nous nous souviendrons toujours de la longue et formidable vie. » On ne saurait faire hommage plus éloquent. Ils continueront d’ailleurs de veiller sur elle jusqu’à ce que Vivian décède à l’âge de 83 ans en avril 2009.

L’exposition se tient jusqu’au 30 mars (du mercredi au samedi) et il préférable de choisir des heures creuses tant l’affluence peut contrarier la visite. La galerie Les Douches (ancien établissement de bains) est située près de la place de la République, au 5 rue Legouvé, dans un quartier des plus trendy et donc fort amusant à observer par ailleurs.

PHB

Son histoire sur Wikipédia
Sa vie sur le site de l’association « Vivian Maier et le Champsaur ».

 

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3 réponses à La singulière signature de Vivian Maier

  1. Yves Brocard dit :

    Je n’ai pas encore vu cette exposition mais vais y courir. Les photos de Vivian Maier sont remarquables et l’histoire de cette nounou/photographe est extraordinaire, ainsi que celle de sa découverte. Je recommande chaudement le livre très fouillé de l’universitaire Paméla Bannos : Vivian Maier, A Photographer’s Life and Afterlife, malheureusement pas (encore?) traduit en français. Il donne une vue beaucoup complète de la vie et l’œuvre de Vivian Maier, corrigeant en cela beaucoup « la belle histoire » un peu simpliste et tout à son avantage racontée par John Maloof. On y lit ainsi que Vivian a fait de nombreux voyages aux Etats-Unis, en Europe et un tour du monde jusqu’en Inde, on y découvre sa famille, son frère, ses héritiers et beaucoup de choses sur ses photos. Néanmoins on doit à Maloof une part très active dans la révélation et la consécration de la photographe.
    Merci pour vos chroniques, toujours pointues.

  2. jacques ibanès dit :

    Et ne pas hésiter à faire acquisition du DVD « À la recherche de Vivian Maier » qui retrace le parcours de cette fabuleuse découverte. L’empreinte de Vivian sur les enfants dont elle a eu à s’occuper est indélébile, mais le souvenir que certains en conservent interroge sur cette personnalité complexe dont le mystère reste entier.
    Ses photos sont des coups de poing qui ne peuvent laisser indifférent. Merci à John Maloof d’avoir inventé (au sens archéologique du mot) ce prodigieux gisement dont il reste encore bien des trésors à découvrir.

  3. philippe person dit :

    Jamais cru à cette histoire de nounou qui gagne assez d’argent pour acheter des appareils de photos, faire des milliers de bobines (sans les développer et qui les entrepose dans une garde-meuble)… et maintenant on apprend qu’elle voyageait ! Je veux être nounou à New York !
    Et en plus qui pratique tous les styles des grands photographes…
    « It’s a fake » disait Bogart en grattant la surface du « Faucon Maltais »…
    C’est ce que je me suis dit dès la sortie de « à la recherche de Vivian Maier » (on peut d’ailleurs retrouver mon article de l’époque sur Froggy’s Delight).
    La vérité éclatera bien un de ces jours et l’imposture de John Maloof sera alors un beau scandale puisque les tirages se vendent très chers…

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