L’itinéraire sans grâce de Philippe Val

Voici un étrange objet littéraire dont le principal argument de vente médiatique est dénié tout au long de ses 867 pages. « Ma vie sous la menace islamiste » titrait ainsi abusivement le Journal du Dimanche en accordant trois pages au dernier livre de Philippe Val « Tu finiras clochard comme ton Zola ». Certes, ce titre n’a pas les mêmes qualités marketing que celui du JDD mais, à défaut d’être immédiatement séduisant, il a une parenté moins contestable avec le récit qu’il couronne.

Commençons donc par afficher la couleur : la menace islamiste – réelle – qui pèse sur Philippe Val ne survient qu’après les 800 premières pages du livre, donc ce n’est pas elle qui doit inciter le lecteur à se lancer à l’assaut de cette somme. Philippe Val vit certes sous protection policière depuis la publication par Charlie Hebdo des caricatures de Mahomet en 2006. Mais ce n’est évidemment pas l’aboutissement d’un destin qui se serait construit au cours des cinq décennies précédentes. Pas plus qu’il ne devait finir clochard, l’auteur n’avait vocation à vivre sous garde rapprochée, honnie de toute une partie de l’humanité.

« Tu finiras clochard comme ton Zola » est un livre générationnel. D’abord par la motivation affichée de l’auteur qui destine ce récit à son fils – qui doit avoir cinq ou six ans aujourd’hui et qui n’a donc jusqu’ici connu son père qu’entouré de policiers – afin de lui « léguer » ce qu’il souhaite garder du 20ème siècle. Et donc ensuite par cette France qu’il traverse et qui lui permet de retracer un monde disparu, peuplé d’un grand nombre de disparus et de quelques survivants. Qu’évoquerait aujourd’hui pour des moins de trente ans un défilé de noms qui ont marqué les dernières décennies comme Félix Leclerc, Léo Ferré, Minou Drouet, Georges Brassens et bien d’autres ? Difficile de répondre pour eux mais on ne peut pas exclure que le seul probable lecteur de ce livre né après 2010 sera effectivement le fils de l’auteur.

Philippe Val raconte donc son siècle vu depuis le très surprenant chemin qui l’a mené de la boucherie chevaline de son père jusqu’à la direction de France Inter en passant par une vingtaine d’années à battre la scène avec le duo Font et Val (ndlr à l’attention des moins de 20 ans : un célèbre duo comique né dans les années soixante-dix composé de Patrick Font et donc de Philippe Val) et la direction de Charlie Hebdo.

La seule période qui donne à voir un peu de son intimité est celle de son enfance dans une famille sans doute plus dysfonctionnelle que la moyenne. Dans la description qu’en fait Val cinquante ans plus tard, aucun personnage n’y est attachant à part une employée de maison vite renvoyée par une belle-mère jalouse. Le gamin trouve refuge dans la musique, les livres et une amitié qui deviendra éternelle avec un camarade de pension. Dix-sept années lugubres du côté des abattoirs du XVème arrondissement de Paris qui forgent un gamin mal dans ses pompes, aspirant à l’évasion par tous les moyens et mû par un orgueil – qu’il reconnaît – capable de lui donner ensuite toutes les audaces.

Par un enchaînement de hasards, Val hante ensuite, pendant plus de vingt ans, les cabarets parisiens, y multiplie les rencontres – pour certaines, fascinantes – avec des artistes finissants (Georges Brassens), d’autres en pleine lumière (Thierry Le Luron) et des débutants comme lui (Jacques Higelin, Maxime Le Forestier, la troupe du Splendid,…). Le duo Font et Val devient une entreprise prospère, s’enrichit de la présence de musiciens lumineux (Paul Montanier, Emmanuel Binet), puis se délite dans l’aigreur et le ressentiment, bien avant la chute pénale de Patrick Font au milieu des années quatre-vingt-dix.

Le parcours plus récent de Philippe Val est mieux connu parce que très médiatisé : la relance avec le dessinateur Cabu de Charlie Hebdo et la direction de France Inter. Val donne à voir la presse au tournant du siècle dans un journal où se côtoient plusieurs générations, les « historiques » comme Wolinski, Siné, Cabu, Cavanna et les plus jeunes (Charb, Riss,…). Il y décrit une atmosphère survoltée, éthylique, idéologique dans laquelle, tout directeur de publication qu’il est, épaulé solidement par Cabu, il cherche constamment sa légitimité qui est tout aussi constamment mise en cause par une partie de l’équipe.

Ce qui le fait tenir ? Son orgueil. Il le dit. Ce sera pareil à France Inter et c’était pareil du temps de ses années cabaret. Et ce foutu orgueil est peut-être l’objet le plus fascinant de ce gros pavé.

Quoi qu’on pense de Philippe Val, des polémiques au cœur desquelles il s’est trouvé – de son plein gré parfois – et en mettant autant que possible à distance les attentats islamistes, ces 850 pages ont ceci d’invraisemblable qu’elles sont lestées d’un esprit de sérieux aux antipodes des trouvailles d’humour potache qui ont lancé Val sur l’avant de la scène.

Rien n’échappe aux analyses décortiquées jusqu’à l’os. Avec Val, chaque instant de sa vie, chaque choix qu’il a opéré, chaque obstacle qu’il a surmonté, chaque joie qu’il a éprouvée, sont dûment disséqués dans de longues phrases. Phrases intelligentes mais longues. Démonstrations intelligentes mais pesantes (en particulier quand il s’agit d’accabler ceux qui font l’objet de ses détestations et de son mépris).

« L’orgueil », ne cesse-t-il de dire, pour se justifier. Il est orgueilleux de naissance, à l’en croire. Et c’est au cours de ses années de spectacle qu’il a le plus combattu le poids de cet orgueil handicapant. À force de vouloir gagner son droit à être un artiste et à faire rire, il a travaillé avec un acharnement dont il ne savait se défaire sur la scène. Et il a envié la grâce de certains de ses congénères, tout autant travailleurs que lui, mais que la grâce sublimait dès que les projecteurs s’allumaient. Des artistes.

Val n’a jamais trouvé la grâce de l’artiste. Nougaro et d’autres le lui diront. Val manque de chair. Ou en refuse l’idée. C’est ainsi qu’il a confié à un pseudo-narrateur le soin de parler de lui. Val parle de Philippe à la troisième personne. Peut-être se rêve-t-il en personnage d’une littérature dont il pleure la disparition. Ou en romancier.

Marie J

« Tu finiras clochard comme ton Zola ». Editions de l’Observatoire. 857 pages. Janvier 2019

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Une réponse à L’itinéraire sans grâce de Philippe Val

  1. philippe person dit :

    Bravo Marie ! 867 pages de Philippe Val !!!
    Personnellement, je ne tenais déjà pas devant ses éditos jésuites dans le Charlie-Hebdo qu’il a mené à la catastrophe qu’on sait…
    Dans son livre sur Charlie, Denis Robert raconte comment Val a traité Cavanna… Je vous conseille de le lire. C’est sordide et indigne…
    Et pourtant, « petit », j’avais acheté un disque (oui, un disque !!!) de Font et Val en public. Son titre était plein d’élégance : « On s’en branle ». Pour parler de la mort de Cloclo, Val disait : « pour une fois que le service public rend service au public »…
    Il y avait une chanson elle aussi très poétique : « une crotte de nez »…
    Bref, j’aimais ça… On était du bon côté, on se moquait des puissants, du pouvoir gaullo-giscardien…
    Mais voilà, on grandit et Val est devenu un troubadour qui s’est pris pour un penseur.
    Tant pis pour lui : « je m’en branle »…

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