L’inspiration d’Almodovar coule toujours (de source)

Pour ce film blindé de références autobiographiques, alternant les phases de flash-back, on pouvait craindre une baisse d’inspiration, redouter paresse et complaisance, n’y retrouver qu’un reliquat de cette originalité brillante, cette liberté sans frein qui faisaient titre après titre, sa marque de fabrique. Avec « Douleur et gloire » Pedro Almodovar démontre qu’il n’a pas encore abdiqué. Sa dernière livraison dure près de deux heures et à quelques bavardages longuets près, on marche toujours. Une fois encore, comme dans « Tout sur ma mère », nous retrouvons de surcroît cette sensibilité, cet humanisme, qui innervent autant la société espagnole pauvre que celle privilégiée du cinéma, de son cinéma.

Pénélope Cruz, pas vraiment démunie dans la vraie vie mais ayant connu une enfance « simple » selon elle, excelle toujours dans les rôles de mère-courage. À se demander s’il est plus facile de camper une personne modeste quand on a réussi, ou l’inverse. Dans « Douleur et gloire », elle est la mère d’un petit garçon. Tous deux vivent dans une habitation troglodyte dont la configuration fait qu’il pleut dans le séjour lorsque le temps est maussade. Le rapport à la mère est un des piliers de soutènement de ce dernier opus. Cette maman que l’on voit plus tard vieillie et qui aurait voulu mourir dans son village si son fils n’avait pas loupé le coche. Le village d’origine par rapport à l’urbanisation irréfléchie de la cité madrilène est un autre renvoi à l’égard de « Femmes au bord de la crise de nerfs » (1988). Le hameau rural est l’évident contraste avec une société déglinguée du show business où circulent les drogues et le sexe dévoyé. Comme toujours avec Pedro Almodovar, le vécu est partout. L’un des décors du film n’est autre que la réplique exacte de l’appartement du réalisateur.

Un homme de cinéma (interprété par Antonio Banderas) est aux prises avec la vieillesse qui vient. Il supporte les multiples douleurs du corps et les affres de la création en usant d’héroïne comme produit d’apaisement et d’oubli. Ce faisant, il « chasse le dragon ». « Douleur et gloire » se démarque des précédentes productions par un certain assagissement. Un baiser profond entre deux hommes qui se sont aimés des années auparavant est sans doute la seule incartade dans un propos général fournissant davantage de réflexions sur ce qu’il reste à consommer de la vie. L’œil de Almodovar et donc sa caméra, oscille en permanence entre l’image envoyée par le rétroviseur, sur ce qui se passe pendant et ce qui peut advenir au-delà.

Et passé les premières minutes, nous voilà rassurés. À soixante-dix ans cette année, le réalisateur espagnol a encore quelques tours dans son sac. Il a su, notamment avec l’humour et la dérision comme ingrédients de ponctuation, éviter les écueils toujours possibles d’une histoire qui aurait par trop tourné autour de son nombril. Les acteurs et actrices recrutés pour l’occasion y sont pour beaucoup. Almodovar s’intéresse à ses personnages. De toute évidence ils ne sont pas là seulement pour faire diversion. Le petit garçon (Asier Flores) est tout bonnement extraordinaire de finesse dans le rôle qui lui a été confié. Plus généralement, la direction des acteurs, le soin apporté aux cadrages et à la lumière, font que l’on adopte l’histoire assez vite sans se soucier de son origine autobiographique. Sur le papier, l’intrigue pourrait laisser croire à une histoire brouillonne, dénuée de sens et de fil directeur, il n’en  est rien.

PHB

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Une réponse à L’inspiration d’Almodovar coule toujours (de source)

  1. philippe person dit :

    Cher Philippe,
    vous dîtes que PA n’a pas encore « abdiqué »… Pour cela, il aurait fallu qu’il règne…
    Or, depuis Femmes au bord de la crise de nerfs et Matador… RAS… Le vide absolu. Des petits films sympas (copiés sur Sirk et les mélos espagnols des années 50) rendus prétentieux pour leur toilettage pour Cannes… et le bide en palmedoré…
    Qu’en sera-t-il encore cette fois… Un prix spécial ? Banderas prix d’interprétation ?
    Un accessit de plus… Et tant pis pour celui qui aurait pu être le Fassbinder espagnol, se colleter vraiment avec le franquisme (seulement évoqué dans La mauvaise éducation).
    Encore une fois la très contestable « politique des auteurs » aura fait un malheureux de plus et l’Espagne n’aura rien affronté du tout.

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