Offrandes funéraires en papier de Taïwan

Le Musée du Quai Branly-Jacques Chirac s’est associé au Centre culturel de Taïwan et au musée des Beaux-Arts de Kaohsiung pour réaliser une exposition des plus surprenantes, tout du moins au regard des Occidentaux que nous sommes : “Palace Paradis. Offrandes funéraires en papier de Taïwan”.  Qui, en effet, n’a jamais souhaité retrouver les plaisirs terrestres après la mort ? Dans la civilisation chinoise, la coutume d’inhumer les défunts avec des répliques d’objets quotidiens remonte à plus de 3000 ans. A Taïwan, les offrandes funéraires en papier (zhizha) se rattachent à cette longue tradition. Elles sont brûlées, lors de cérémonies funéraires, dans le but d’assurer le confort matériel des défunts dans l’au-delà. Des commandes ont donc été ici passées à deux ateliers de renom, les ateliers Hsin-Hsin et Skea, pour réaliser ces créations de papier.

L’exposition s’ouvre sur deux objets emblématiques de taille imposante réalisés, comme il se doit, en papier : le Phoenix, symbole de la renaissance, et la voiture, objet du quotidien qui, dans le rituel des offrandes funéraires, a pour fonction de transporter l’âme du défunt au paradis.
Dans la culture chinoise, le monde souterrain, que l’on pourrait assimiler à “l’Enfer”, et le monde céleste, le “Paradis”, sont supposés fonctionner tout comme le monde terrestre des humains. Le bien-être du défunt dans l’au-delà dépend par conséquent des offrandes qui lui sont faites. Les familles dépensent énormément d’argent pour la réalisation de ces objets hyperréalistes qui ne négligent aucun détail et ont cependant vocation à être éphémères puisqu’ils sont brûlés pendant la cérémonie des offrandes. Si la réalisation de ces objets extrêmement minutieuse peut durer plusieurs mois, ceux-ci, en revanche, ne mettront que quelques minutes à se consumer.

Autre objet emblématique : la maison, qu’elle soit classique, en forme de temple avec ses colonnes traditionnelles et ses ornements de dragons et fleurs colorées, ou plus moderne. Celle-ci comprend bien évidemment des représentations de dieux et un moyen de transport pour l’âme du défunt. Dans le modèle conçu pour l’exposition, la “maison de rêve”, il s’agit d’un hélicoptère et non plus de l’habituel palanquin d’autrefois. Des reproductions de lingots d’or sont placées bien en évidence, au premier plan. Les monnaies et objets à brûler entretiennent ainsi une relation d’interdépendance entre les morts et les vivants. Par ces offrandes, on rend aussi les ancêtres bienveillants à notre égard.

À l’intérieur de la “maison de rêve”, une effigie en papier du défunt porte un titre de propriété immobilier, ainsi que l’inventaire des biens et le montant exact de la somme d’argent déposés par la famille afin d’éviter que les offrandes ne soient dérobées par des “fantômes affamés” qui, eux, n’ont pas bénéficié de rituels funéraires. Décidément, tout a été pensé dans les moindres détails. Les ateliers de papier taïwanais, comme il est facile de l’imaginer, accordent un soin particulier à la réalisation de la maison qui doit rester l’offrande la plus spectaculaire. Plus loin dans l’exposition, un film documentaire sur le rituel de crémation nous permet de saisir toute l’importance de cette offrande dont l’objet est en réalité cinq fois plus grand que le modèle présenté ici.

Un deuxième film documentaire présente le travail de l’atelier Hsin-Hsin, entreprise familiale qui perpétue une tradition artisanale depuis plusieurs générations, la fabrication d’éléments de papier posés sur une délicate structure en bambou.
La maison moderne peut – doit ? – par ailleurs, être dotée de tout le confort intérieur possible. Et c’est ainsi que nous découvrons avec amusement de véritables décors de maisons de poupées.

Afin que les ancêtres ne se transforment pas en “fantômes affamés”, il faut aussi songer à les nourrir.  Dès lors s’offrent à nos regards éberlués de minutieuses répliques miniatures de mets en papier extrêmement réalistes (ci-contre) et on ne peut plus appétissantes.
Le monde des morts étant à l’image du nôtre, il suit lui aussi les modes et les avancées technologiques. Au 21ème siècle, les appareils high tech et les objets de luxe ont ainsi toute leur importance : casque sans fil, appareil photo reflex numérique, ordinateur portable, tablette numérique…, mais aussi accessoires vestimentaires, copies d’articles de grandes marques, ou encore jet privé et yacht miniatures.  Il est ainsi permis de garder son âme de VIP et de mener son âme au paradis avec prestance. Le défunt peut d’ailleurs faire une liste des objets qu’il souhaite en guise d’offrandes, un peu comme une liste de mariage dans notre monde occidental. La réalisation de ces articles pouvant s’avérer excessivement longue, il existe une période de 100 jours pendant laquelle les offrandes peuvent avoir lieu.

Les “fantômes affamés”, eux, ne sont pas totalement oubliés.  Chaque année, en effet, une fête leur est consacrée lors de laquelle de la nourriture et des objets de papier à brûler leur sont offerts pour les apaiser et les empêcher de nuire.
L’exposition se clôt sur un autel à tablette d’ancêtre. Grâce au rituel funéraire, le défunt est, en effet, devenu un ancêtre dont l’esprit pourra désormais résider dans une tablette portant son nom. Les tablettes d’ancêtres sont alors disposées un peu partout dans la maison pour honorer le défunt. Celui-ci peut ainsi assister aux activités de la famille et reçoit quotidiennement des offrandes de nourriture, d’encens et de fleurs. Les vivants et les morts n’ont pas fini de cohabiter…

Isabelle Fauvel

 

Shopping Paradis © I.Fauvel

“Palace Paradis. Offrandes funéraires en papier de Taïwan”, exposition du 18 juin au 27 octobre 2019 au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac

 

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