Gengenbach, un drôle de paroissien

Oui vraiment un drôle de paroissien, cet Ernest de Gengenbach. Et un bien curieux bonhomme, dont la personnalité hors du commun intéressa les surréalistes, André Breton en premier lieu. La réédition inattendue d’un de ses ouvrages publié à compte d’auteur en 1949 et pratiquement jamais diffusé, réjouira tous ceux qui s’intéressent à ce personnage pittoresque, constamment tiraillé entre Lucifer et sainte Thérèse. Le titre de ses ouvrages témoigne amplement de sa propension à la démonologie et aux sciences non académiques: « Satan à Paris » (1927, préface d’André  Breton), « La Papesse du diable » (1949), « L’Expérience démoniaque » (1949), « Adieu à Satan » (1952)…

Né en 1903 dans les Vosges, Ernest Gengenbach (il se rajoutera une particule qui ne figurait pas sur l’acte de naissance) a quinze ans lorsque son père est tué à la guerre. Sa mère élève seule ses cinq enfants et, très pieuse, souhaite qu’il devienne prêtre. Il rentre au séminaire mais, par amour pour une actrice, se trouve contraint de défroquer (en ce temps là les séminaristes portaient la soutane). Il faut croire que l’actrice ne pouvait l’aimer qu’en soutane, puisqu’elle mit un terme à l’aventure. Désespéré, Ernest tente un suicide par noyade dans le lac de Gérardmer. C’est l’époque où il rencontre André Breton et s’enrôle dans le surréalisme, dans lequel il pense trouver des réponses à ses préoccupations mystiques ou surnaturelles. Il accuse l’Église d’avoir fait de lui «  un désespéré, un révolté, un nihiliste » et se décrit comme un « surréaliste luciférien, un poète maudit, un pécheur public ».

Mais une enfance religieuse laisse souvent des traces indélébiles. Lui qui en 1940 conseillait aux moines de transformer leurs cellules en garçonnières ( « L’amour est ici bas, et non dans le ciel de vos chimères » ), en vient à se passionner pour un événement qui défraya un temps la chronique religieuse .

Rappelons les faits. En 1948, dans le village d’Espis, près de Moissac (Tarn et Garonne), un enfant de quatre ans affirme avoir assisté à l’apparition de la Vierge Marie. Un témoignage suffisamment pris au sérieux par les autorités religieuses pour qu’un pèlerinage y voit le jour. Gengenbach décide de se rendre sur les lieux pour y rencontrer l’enfant des apparitions et devenir « l’écrivain d’Espis ». Il consigne les éléments de son enquête dans un ouvrage qu’il publiera à compte d’auteur (« Espis, un nouveau Lourdes ? »), ouvrage qui devait servir d’introduction à une œuvre plus conséquente «  Des ténèbres sataniques à l’étoile du matin ». Le livre fut à peine diffusé.

Lire aujourd’hui cet opuscule croustillant qui vient d’être réédité (avec en prime un très documenté entretien avec l’auteur) offre bien des intérêts… mais, en réalité, nous en apprend beaucoup plus sur Gengenbach lui-même que sur l’enfant chez lequel il pressentait la même destinée que celle de Bernadette Soubirous. Avec force détails, Gengenbach y narre ses propres errements. L’homme s’y révèle sous tous ses aspects, parfois contradictoires « Ma vie offre toutes les apparences d’une jonglerie humoristique » avoue-t-il. Sans doute un trait de vérité au milieu de faits plus ou moins réels, plus ou moins contestables, en tout cas peu vérifiables. Ce mélange de réalité et d’invention, décrites à chaque fois avec la même véhémence, constitue une des caractéristiques de ce surréaliste singulier, hors norme… et suffisamment digne d’intérêt pour qu’en novembre 1971 Jacques Chancel lui consacre l’une de ses Radioscopies.  On peut écouter cet intéressant document aujourd’hui encore sur le site de France Inter.

Gérard Goutierre

« Espis un nouveau Lourdes ? », précédé une lettre inédite de l’auteur
Présentation de Philippe Didion. 17 euros
Marc-Gabriel Malfant, éditeur, 10 rue des Farges, 69005 Lyon.
marcmalfant@orange.fr

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  1. Ping : 5 janvier 2020 – 863 – Notules dominicales

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