Tribulation migratoire

l'odyssee d'hakimEn face mais loin, très loin, il y a l’île grecque de Samos et une seule lumière qui sert de repère. Il faut gonfler le canot, fixer le moteur et embarquer un réservoir supplémentaire. Hakim est sur la côte turque, son très jeune garçon dans les bras. Il se prépare pour la traversée nocturne avec d’autres migrants, pour la plupart Syriens comme lui. Il a avec lui le minimum, c’est à dire ses papiers, son argent et un peu de nourriture. Hakim s’est aussi procuré un gilet de sauvetage et seulement une bouée pour son fils car les gilets de sauvetage sont trop grands. L’équipée s’annonce d’une précarité redoutable. Le pilote est un migrant comme lui et n’a jamais conduit de bateau. Comme il le dit d’ailleurs, il a quatre heures pour apprendre, c’est à dire la durée théorique de la traversée. Ingénieur dans la vie civile, Fabien Toulmé est devenu auteur de BD. Il a décidé de raconter l’itinérance d’un migrant fuyant la guerre civile. Une narration qui pique parfois les yeux.

L’idée de départ est simple. Comme Fabien Toulmé l’explique en préambule, il est un jour frappé par le traitement intensif que les télévisions accordent au crash d’un avion de la Germanwings sur une montagne française. Cette année-là parallèlement, 3500 migrants sont morts en Méditerranée. L’équivalent de 23 avions de la Germanwings. Mais les migrants font moins d’audience, même quand ils se noient. Et c’est ce qui a décidé Fabien Toulmé à recueillir les souvenirs d’un migrant syrien et d’en faire une BD en trois gros volumes, dont le dernier est attendu pour cette année. Il s’agit d’une narration sobre, efficace, avec un fil directeur qui n’égare jamais le lecteur.

Si efficace que notre attention est immédiatement captée. On connaît d’emblée la fin puisque Hakim raconte son trajet depuis la France où il a fini par retrouver sa famille. Une épopée tragique mais pas misérabiliste. L’histoire commence dans une Syrie relativement heureuse. Hakim n’est pas Alaouite, la caste au pouvoir, mais comme des milliers de ses compatriotes, il se débrouille quand même dans ce pays sous haute surveillance où les espions du régime traînent partout. Hakim est même un jeune Syrien prospère qui a monté sa propre entreprise. Dans sa pépinière il coule des jours tranquilles et, rencontre aidant, il peut bâtir l’espoir de fonder une famille.

On connaît la suite. Il y a le printemps arabe qui secoue le pourtour méditerranéen. En Syrie on se prend à rêver de liberté et de démocratie. Un espoir immédiatement cassé par les nervis du régime qui embastillent et torturent un peu tout le monde dont Hakim qui perd tout. C’est ainsi que va commencer son odyssée en zigzags de la Syrie en Jordanie, de la Jordanie jusqu’en Turquie, de la Turquie en Grèce. Puis c’est la Macédoine, la Serbie, la Hongrie, l’Autriche, la Suisse, et enfin la France. Depuis le premier opus sorti en 2018, le second publié en 2019, nous suivons l’itinéraire cahoteux de cette famille ordinaire en attendant avec impatience le troisième tome. On découvre effaré cette tragédie moderne où l’on ne peut même pas dire que la vie ne vaut plus rien puisque tout se monnaye. À chaque étape en effet, il y a toujours quelqu’un pour surtaxer une chambre, un taxi, un bateau, un transfert en camion, une couche-culotte, une puce de téléphone, jusqu’à une simple bouée pour le fils d’Hakim. Les deux premiers tomes ont fait l’objet, de la part des critiques, d’éloges mérités.

l'odyssee d'hakim« Jamais je n’aurais imaginé, confie Hakim, que ça m’arriverait et je me rends compte que n’importe qui peut devenir un réfugié, il suffit que ton pays s’écroule ». Un livre éminemment salutaire que cet « Odyssée d’Hakim » qui vient, on s’en doute, bousculer la hiérarchie de nos indignations.

PHB

« L’odyssée d’Hakim » tome 1&2 respectivement sortis en 2018 et 2019 aux éditions Delcourt/Ancrages.

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