Angélophanie

Devant sa boîte de pinceaux, démasquée pour les besoins de la photo, elle colorie des anges. Brigitte de Cuyper a eu un jour cette idée paraît-il unique, celle consistant à ouvrir une échoppe consacrée aux anges, rien qu’aux anges. Au pied du funiculaire de Montmartre, malgré l’absence de touristes due à la « guerre » sanitaire, elle tient son fonds de commerce depuis plus d’une vingtaine d’années, juste après la mort de son père. Un des gros avantages de la matière angélique, explique-t-elle, c’est que les clients qui viennent la voir, sont toujours aimables. Ils n’élèvent jamais la voix. « La boutique des anges » est ce faisant, le symétrique inverse d’une boutique de télécoms où l’abonné le plus souvent fulmine, devant moult tracas. Il semble bien évident qu’un service après-vente serait ici superflu.

Broches, camées, bagues, bâtonnets d’encens, cartes à vocation divinatoires, statuettes de tailles diverses, l’ange est ici matérialisé sous toutes les formes possibles alors que, par essence, il serait davantage de nature invisible. C’est un intercesseur qui trouve ses origines dans le monde judaïque mais qui a aussi sa place chez les chrétiens et les musulmans. L’ange nous soulage de l’humain car précisément il n’est pas humain. Il est la magie, il est la grâce, il est l’apaisement. Ce pourquoi Apollinaire pouvait bien écrire dans son poème « 1909 », à propos d’une dame portant une « tunique brodée d’or », qu’elle avait des « yeux dansants comme des anges ». Elle en devenait « si belle » qu’elle lui faisait peur. Le surnaturel bien sûr, même lorsque l’on se limite à l’invoquer, suscite de l’appréhension.

Sauf erreur en revanche et si l’on excepte Internet, il n’y pas  à Paris, de boutique sérieusement dévolue aux démons. Probablement que le produit est moins recherché. On cherche avant tout à se faire du bien, c’est un penchant irrépressible, un réflexe pavlovien bien compris. Cependant qu’il y aurait une perversité manifeste à se faire du bien en faisant le mal et qu’il ne faut pas oublier au passage que dans la terminologie judaïque et chrétienne, le démon n’est pas autre chose qu’un ange déchu pour s’être opposé à Dieu. Banni il devient sexué. Il est incube pour les mâles ayant de funestes idées en tête et succube lorsqu’il se fait femme pour abuser d’un homme. Certains en ont fait un art en devenant cubistes et Dieu sait, justement, où ils se trouvent désormais. À égalité sans doute, anges et démons ont inspiré la littérature jusqu’à affoler la poésie. Quand Arthur Rimbaud  écrivait « Je suis l’esclave de l’Époux infernal, celui qui a perdu les vierges folles. C’est bien ce démon-là. Ce n’est pas un spectre, ce n’est pas un fantôme », il goûtait l’ambiance particulière d’une saison en enfer. Quant au démon de midi, c’est Paul Bourget qui en fut l’inventeur distingué dès 1914 avant que cela ne devienne dans la bouche de tout un chacun, quelque chose de nettement plus commun, en remplacement de l’apéritif anisé.

Le monde des anges, s’il a ses défections, est néanmoins d’une stabilité politique remarquable où les remaniements sont rares. L’archange Saint-Michel veille toujours sur Paris du haut de la basilique Montmartre. Mais cela fait longtemps qu’il ne donne plus de nouvelles. Faute de dragon à terrasser sans doute ou parce que les dragons contemporains sont multiformes, trop compliqués à identifier. Le diable se niche désormais dans les détails c’est bien connu et ce sont bien souvent les avocats et les juristes qui s’en chargent. Le mot angélophanie, désignant l’apparition d’un ange, est tombé en désuétude.

C’est pourtant au détail, sans jouer sur les mots, que la petite boutique de la rue Yvonne le Tac, commercialise des anges de différentes tailles sur des supports variés. Il y règne une ambiance tranquille de mercerie de province que personne ne songerait à troubler. C’est en tout cas un havre d’innocence, un lieu suranné où il n’est nul besoin de mentionner qu’en cas d’urgence on peut toujours sonner. Les horaires diurnes suffisent amplement.

PHB

 

La Boutique des anges, 2 rue Yvonne le Tac, Paris 18e

Photos: @PHB
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2 réponses à Angélophanie

  1. anne chantal dit :

    C’est sympa de votre part d’avoir consacré un article à ce lieu magique dédié aux anges, lieu serein et loin de toute influence religieuse, contrairement aux boutiques du quartier saint Sulpice ! Il est vrai que sans touristes, les petits anges doivent se sentir bien sédentaires,
    messagers de paix incapables de voler vers les contrées lointaines.

  2. Malvine dit :

    Quand parfois je suis rappelée à l’ordre lors de mes pensées égocentriques, je me félicite d’avoir cette chance d’accepter les chuchottements de mon Ange, qui me souffle de ne point oublier de faire mon auto-critique, lors de mes parfois illegitimes emportements au sujet d’une telle ou d’un tel. Aussi de lire « Conversations avec mon Ange ».

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