Bruxelles était aussi capitale de l’avant-garde

Reconnue capitale de l’Art nouveau (l’hôtel Tassel de l’architecte Victor Horta est considéré comme une œuvre-phare), Bruxelles est moins souvent citée en ce qui concerne les grands mouvements d’avant-garde apparus en Europe après les années-catastrophes 1914-1918. Une passionnante exposition visible jusqu’au 9 août au CIVA de Bruxelles montre la vitalité et la hardiesse d’un groupe de jeunes gens décidés à bousculer les habitudes et imposer de nouvelles références autant dans les arts que dans les différents domaines de la vie courante.
Au début du siècle, Paris avait été le centre incontestable des premiers bouleversements artistiques, avec le cubisme pour tête d’affiche. Une fois le conflit terminé, la capitale française perd un peu de sa primauté. C’est de toute l’Europe que proviennent des revendications d’ordre esthétique ou littéraire. Elle sont parfois radicales, mais témoignent toujours d’une bonne santé morale et d’un appétit féroce de reconstruction – dans tous les sens du terme.

Le moyen de propagation le plus courant de ces nouvelles théories est la revue. En France, naît en 1922 la revue « L’Esprit Nouveau » dirigée par le poète Belge Paul Dermée et animée notamment par l’architecte Charles-Édouard Jeanneret (Le Corbusier) et le peintre Amédée Ozenfant. La même année, dans le nord de la France, le peintre Félix del Marle crée avec quelques amis dont Mondrian et Kupka, la vaillante revue «Vouloir». En Italie, Marinetti dirige avec panache « l Futurismo ». Aux Pays-bas, Theo Van Doesburg anime depuis plusieurs années  « De Stijl » (Le Style), tandis qu’en Allemagne, Walter Gropius est à la tête du Bauhaus.

La Belgique n’est pas en reste. À Bruxelles, quelques jeunes gens inspirés veulent en découdre. Ils savent que, depuis 1920, à Anvers, le groupe « Ça Ira » publie sous ce titre une revue qui a un certain retentissement parmi les intellectuels. Autour des frères Bourgeois (Victor, 23 ans, architecte, Pierre, 22 ans, écrivain, ami de Magritte), se réunissent Pierre-Louis Flouquet, 22 ans, peintre et poète, Karel Maes, 22 ans, peintre et le musicien et critique Georges Monier. Tous débordent d’énergie. Ils lancent en 1922 le premier numéro de « 7 arts », journal francophone grand format, de 4 à 8 pages, abondamment illustré, surtout de photographies, de plans et de gravures. Le but ? Défendre la « plastique pure », autrement dit l’abstraction géométrique, non seulement dans le domaine de l’art, mais aussi dans l’architecture, l’urbanisme, la littérature, le théâtre, la musique, les arts décoratifs, la mode, avec une mention spéciale pour l’architecture et le tout jeune cinéma, que Riccioto Canudo vient tout juste de qualifier de « septième art », avec le succès que l’on sait.

Cet hebdomadaire aura la plus grande longévité de toutes les revues équivalentes – elle ne se terminera qu’en 1929, après plus de 150 parutions – et publiera bon nombre de manifestes, comptes-rendus, propositions, critiques, en mêlant idéologie et vie pratique, sans hiérarchie. Pierre Bourgeois nourrit sa poésie des surprises que lui réserve la promenade urbaine, tandis que dans « Les Carnets d’un citadin », le journal s’intéresse de façon prémonitoire au revêtement de la chaussée, à l’éclairage, aux étalages, aux plaques de rues, aux boîtes aux lettres, à la publicité… préoccupations qui deviendront essentielles quelques dizaines d’années plus tard.

La modernité doit ainsi s’immiscer partout et l’art est défini comme « une invention organisée ». Les meubles se présentent avec une géométrie radicale et couleurs obligatoires. La mode suit le mouvement. Et si les positions radicales des jeunes gens indisposent un public peu enclin aux changements (il est vrai qu’en peu de temps, on le faisait passer des volutes et des arrondis de l’art nouveau aux angles droit et aux arêtes des nouvelles réalisations), le journal répondra, en 1924 : « Vous les indolents, ne mesurez jamais les jeunes de ce temps-ci à votre aune. Ils n’ont pour eux que cette sincérité que vous raillez et la foi que vous tenez pour rien. »

Riche et documentée, l’exposition du CIVA (sorte d’institut de l’architecture) rend justice, un siècle plus tard, à ces jeunes gens sincères et pleins de foi.

Gérard Goutierre

 

Le stand créé par Victor Bourgeois à la biennale de Monza 1925

CIVA, 55 rue de l’Ermitage, 1050 Bruxelles (Ixelles), jusqu’au 9 août
Tous les jours sauf le lundi
+32 2 642 24 50

Crédit photo ouverture (Gérard Goutierre) Crédit photo Journal de 7 arts et le stand Victor Bourgeois: ©Coll.CIVA Brussels
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Une réponse à Bruxelles était aussi capitale de l’avant-garde

  1. Victor MARTIN-SCHMETS dit :

    Merci de rappeler le rôle de la Belgique dans l’avant-garde.
    Petite précision : « L’Esprit nouveau », revue française bien sûr, est né en 1920 [le 15 octobre]…

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