Sur de bons rails

Dans la vraie vie il s’appelait Hunter S. Thomson mais dans le livre son patronyme est Walker. Dans la vraie vie elle s’appelle Cheryl Della Pietra, mais dans le livre qu’elle a consacré à l’écrivain américain, elle a choisi de se prénommer Alley. Alors fraîchement sortie de ses études et après un boulot de barmaid, elle s’est trouvé un job consistant à assister le concepteur du gonzo-journalisme, jour et nuit. « Gonzo girl » raconte avec brio comment, à partir de deux heures du matin, elle obligeait Thomson à pondre deux pages qu’elle réécrivait en douce avant de les faxer à l’éditeur. C’est sans aucun doute un « must have » de la rentrée littéraire. Tellement ce bain d’anti-conformisme, de monde déjanté, d’univers irrévérencieux, de comportement dérangeant, d’ambiance malsaine, débouchent paradoxalement sur une lecture ô combien plaisante à dévorer.

La maison de Aspen dans le Colorado, est à tout point de vue, un lieu fort peu recommandable pour une jeune fille. C’est là que vit Walker, là qu’il consomme des quantités invraisemblables de cocaïne, d’alcools variés et d’herbe à fou-rire. Le lieu abrite déjà une amante juste bonne à se taire et une sorte de secrétaire-amie dévouée. Walker-Thomson (1937-2005) est un écrivain à succès qui se permet toutes les extravagances. Il a donc conçu le gonzo-journalisme, un genre ultra-subjectif où l’auteur personnalise le fil directeur du récit. C’est comme cela qu’il avait publié en 1972 le roman « Fear and Loathing in Las Vegas: A Savage Journey to the Heart of the American Dream » qui devait devenir quelques années plus tard le film « Las Vegas parano » notamment interprété par Johnny Depp. Un livre où l’on suit un Hunter S.Thomson, totalement défoncé (LSD, éther, alcool, cocaïne, herbe…), s’introduisant dans une sorte de colloque anti-drogue organisé par la police. Pour le moins épique.

Dans son livre « Gonzo girl » Cheryl Della Pietra, aide cet auteur parfaitement décadent à accoucher de son dernier opus dans une atmosphère passablement déréglée. Elle est obligée de se mettre au diapason en ingérant également des drogues variées, principalement des rails de cocaïne. Son style trahit une perméabilité évidente avec celui de Walker. Par exemple lorsqu’elle écrit que Walker regardait avec intensité sa feuille blanche « comme si elle lui devait de l’argent ». Ou encore lorsqu’elle évoque un tueur en série « excédé », nous obligeant à imaginer un tel personnage en voie de saturation devant les petits ennuis du quotidien. Ce qui assez drôle. Dans son job, elle doit cohabiter avec une certaine Claudia qui fait on l’a dit, un peu office de confidente et d’assistante titularisée. Dans les moments de grand surmenage, Claudia fait le ménage et lorsqu’elle n’a plus rien à nettoyer, elle envisage de faire un shampooing aux paons qui paradent autour de la maison. C’est dire la folie qui y règne. En outre, quand Walker (Thomson) a lui aussi besoin de se défouler, il emmène tout le monde à son stand de tir personnel, initiant également Alley au plaisir de truffer une cible de projectiles. C’est l’un des rituels obligés. Ne pas s’y plier conduit vers la sortie.

Cheryl Della Pietra fait montre d’un vrai talent dans ses descriptions. Elle n’est par ailleurs jamais en manque de matière tant le chaos de l’endroit fournit en permanence ce qu’il faut d’anecdotes renversantes. Italienne d’origine, issue d’une famille prospérant dans la plomberie, elle découvre avec Thomson le milieu des célébrités, puisque la maison d’Aspen en voit défiler un certain nombre. Avec sa plume et sa sagacité précoce, elle en dresse un savoureux quoique caustique tableau. Elle arrive aussi à percer la personnalité extravagante de Thomson qui apparaît aussi bien cruel que sensible avec elle, y compris lors d’une confrontation sensuelle avec son mentor, aussi pudique qu’originale.

Plusieurs années plus tard, mère de famille devenue à son tour auteur, elle apprendra le suicide de l’écrivain avec une arme à feu puisée dans son propre arsenal. Elle avait eu l’occasion d’assister lors de son séjour, à un simulacre prémonitoire. Lorsqu’elle apprit la nouvelle, elle convint qu’il était bien difficile en cet instant de « convoquer des souvenirs normaux ». Et de se rappeler par ailleurs une phrase de Thomson lui indiquant qu’avec un 44, il était impossible de se rater. Son immersion dans la vie de l’écrivain, sur quelques mois, est indispensable à qui voudrait faire un pas de côté, par rapport à toutes les sorties égocentriques autant qu’insipides qui encombrent actuellement les rayons des librairies.

 

PHB

« Gonzo girl », éditions Stéphane Marsan, 18 euros

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