Le vitrail contemporain illumine Fontevraud

L’Abbaye Royale de Fontevraud, située dans le Maine et Loire, inscrite au Patrimoine Mondial de l’Unesco, est sans aucun doute l’une des plus grandes et des plus belles cités monastiques d’Europe héritées du Moyen Âge, tant par les merveilles architecturales qu’elle recèle que par la splendeur de son site (1). Depuis quelques années, l’art contemporain s’y invite, tout aussi bien de façon temporaire que pérenne. Ainsi l’espace du noviciat accueille-t-il actuellement, et ce jusqu’au 1er novembre, une exposition digne du plus grand intérêt sur les vitraux d’artistes contemporains, avec notamment quelques très belles pièces à contempler.

C’est, pour ainsi dire, l’histoire de la commande d’art sacré, devenue dans les années 1950 celle de l’État, que nous relate, à travers un florilège d’études préparatoires (2), de répliques et de prêts exceptionnels, l’exposition “Vitraux d’artistes”. Au milieu du XXème siècle, chapelles, églises et prestigieuses cathédrales ont, en effet, vu leurs vitraux se moderniser. Si nos pensées vont en tout premier lieu à Matisse et à la petite chapelle du Rosaire à Vence (1949-1951), nombreux sont les artistes, par la suite, à avoir suivi son exemple. Figuratifs, abstraits, minimalistes, ceux-ci ont inventé, avec ou sans plomb, en respectant ou en “explosant” les techniques traditionnelles du vitrail, un nouveau répertoire créatif des plus variés.

Dans les années 80, le vitrail contemporain connaît, par ailleurs, une véritable embellie. La hausse importante du budget de la Culture, la mise en place d’une politique patrimoniale en faveur de l’art contemporain dans les Monuments historiques ainsi que le soutien aux métiers d’art y contribuent pleinement.

L’exposition présente ici une trentaine d’artistes, célèbres ou plus confidentiels, dont les œuvres s’étendent quasi chronologiquement des années 40-50 à nos jours. Jean-Pierre Raynaud (né en 1939) et Jean-Michel Alberola (né en 1953) y côtoient ainsi Georges Rouault (1871-1958) et Fernand Léger (1881-1955). Mais il s’agit avant tout d’un travail collectif et, pour chaque réalisation, les artistes ont été accompagnés dans leur travail par des maîtres verriers. L’atelier du verrier tient, comme on pouvait s’en douter, une place primordiale dans la réalisation d’un projet de création de vitrail. Les Ateliers Duchemin à Paris, les Ateliers Loire à Lèves ou encore les Ateliers Simon Marcq à Reims sont ainsi de véritables institutions, perdurant depuis plusieurs générations.

Si le parcours s’avère linéaire dans le temps, un petit retour en arrière à travers le magnifique Saint Marcel (1935) de Jacques Le Chevallier (1896-1987), réalisé à titre d’essai, (image ci-contre) ainsi que trois études datées de 1964, nous ramènent à la querelle des vitraux de Notre-Dame de Paris et au délicat problème alors soulevé de l’esthétique contemporaine introduite dans un édifice historique affecté au culte. La question des vitraux de Notre-Dame avait débuté en 1935 lorsque le service des Monuments historiques, à la demande du cardinal Verdier, alors archevêque de Paris, avait envisagé de remplacer la vitrerie blanche installée par Viollet-le-Duc dans la partie haute de la nef. Après moult péripéties, ce n’est finalement qu’en 1961 qu’une commande fut passée à Jacques Le Chevallier, avec la demande formelle de réaliser un programme abstrait. Afin de s’accorder à l’harmonie du lieu, celui-ci accorda une attention toute particulière à la modulation des couleurs (3).
Comme on le voit, à la question “l’art contemporain a-t-il sa place dans les édifices patrimoniaux et culturels ? ” s’ajoute alors celle tout aussi sujette à controverse du choix entre figuration et abstraction. Les multiples approches présentées dans l’exposition nous montrent qu’un fois de plus tout est affaire de sensibilité.

Le parcours s’avère riche de techniques et propositions artistiques variées : d’œuvres figuratives élaborées telles la « Sainte Véronique » de Georges Rouault (1949), portrait dans lequel, s’inscrivant dans le temps de l’après-guerre, le voile de l’infirmière remplace la coiffe de la sainte, ou encore la « Tête de Christ » de Gabriel Loire (1962) dans laquelle les épines de la couronne semblent autant d’éclats de verre rouge sang, à des œuvres d’une abstraction totalement épurée, comme celle de Mattew Tyson (« Sans titre », 2007), création minimaliste constituée d’une simple grille de plomb dans laquelle s’inscrit de biais un carré rouge. Si différentes soient-elles, toutes ces créations en verre ont en commun de jouer avec la lumière.

Pour certains artistes, l’utilisation du plomb va bien au-delà de la fonction de sertissage, du rôle au départ structurant de ce métal. Non seulement ils lui accordent une place décorative de premier plan, mais aiment aussi jouer avec le matériau pour tracer des dessins, faisant d’une contrainte technique un élément d’expression à part entière. Ainsi Jean-Michel Othoniel (né en 1964) a-t-il créé pour les vitraux de la Cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême de véritables compositions (ci-contre) dans lesquelles des cabochons et diverses formes sphériques se trouvent encerclées et mêlées à des entrelacs de plomb. Tout en nuances de bleu, rappelant le manteau de la Vierge, avec quelques pointes de jaune orangé, l’ensemble est du plus bel effet.

À une trentaine de kilomètres de Fontevraud, comme pour illustrer le propos de l’exposition, se trouve la petite église Saint-Genulf du Thoureil (XIème siècle) dotée depuis quelques mois de vitraux contemporains flambants neufs (ci-contre). C’est à l’artiste, peintre et écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun (né en 1944) qu’il a été demandé de réaliser, avec l’aide du maître-verrier Philippe Brissy de l’Atelier Théophile à Saumur, ces nouveaux vitraux. Cette initiative fit bien évidemment grand bruit dans la région et les avis divergèrent, comme il se doit. Si certains pensaient que les huit vitraux en place restés translucides et sans ornementation depuis la reconstruction de l’église au XIXème siècle faisaient très bien l’affaire, d’autres pensaient l’inverse, jugeant le lieu un brin terne et austère. Tahar Ben Jelloun fut donc chargé d’y apporter de la couleur.

Pour cela, il a utilisé une large palette de coloris qui rappellent tout autant la Loire que la Méditerranée. “Mon espoir est de servir la paix des cœurs en introduisant un peu de joie et même de fantaisie dans ce lieu de prière.” professe-t-il. Ses dessins, que d’aucuns pourraient juger un peu simplistes, mêlent le figuratif à l’abstraction. Tout est indéniablement dans la couleur et l’on peut trouver plaisant, dès que le soleil est tant soit peu au rendez-vous, de voir des formes colorées se profiler sur le sol et les bancs de la petite église et la baigner d’une lumière chaude et animée.

Isabelle Fauvel

 

(1)  Lire ma chronique de l’été passé sur l’Abbaye de Fontevraud
(2)  À souligner notamment les très belles études sur papier de Gérard Garouste (né en 1946) pour Les femmes de la Bible (1995) pour l’Église Notre-Dame de Talant auxquelles une petite pièce est consacrée.
(3)  Archive de l’INA “1965, la restauration des vitraux de Notre-Dame de Paris”

“Vitraux d’artistes” jusqu’au 1er novembre à l’Abbaye Royale de Fontevraud, 49590 Fontevraud-l’Abbaye. Ouverture tous les jours. Horaires : 9h30 – 19h00, d’avril à septembre ; 9h30 – 18h00, de novembre à mars. (la billetterie ferme 30 minutes avant la fermeture du site.) Plein tarif : 11 euros
Tarif réduit : 7,50 euros

 

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3 réponses à Le vitrail contemporain illumine Fontevraud

  1. anne chantal dit :

    Merci à Isabelle Fauvel pour cet article fort bien documenté sur les vitraux.
    L’abbaye de Fontevraud mérite toujours un détour.

  2. VERRIER dit :

    Grand merci Isabelle pour ce bel article sur Fontevraud. Tu nous donnes vraiment envie d’aller (re)découvrir cette merveille. Je suis avec intérêt tous tes coups de coeur. Bravo pour ton engagement dans cette démarche de curiosité touts azimuts.
    Je t’embrasse avec Vincent.
    Dominique

  3. Isabelle Fauvel dit :

    Merci, Dominique. Très heureuse et flattée de te compter parmi mes lecteurs. Amitiés, Isabelle.

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