La palette confidentielle de Paul Valéry

Il avait beau avoir des peintres dans sa famille, parmi ses amis et plus largement dans ses fréquentations, il avait beau multiplier les visites au musée Fabre de Montpellier dans sa jeunesse, le poète Paul Valéry (1871-1945) n’a jamais vraiment sauté le pas. Ce dessin à l’encre de Chine et aquarelle sur papier, sans titre, démontre en tout cas que la tentation a existé. Il s’y risquait avec précaution tout en estimant avec prudence que « peindre » ne signifiait pas « être peintre ». C’est l’un des grands intérêts de l’exposition en cours au musée Paul Valéry de Sète (Hérault) que de lever le voile, à la toute fin du parcours, sur cette activité confidentielle qu’il pratiquait depuis l’enfance. Pour les cinquante ans de son existence, le musée offre à voir quatre-vingt-dix œuvres de différents artistes afin de proposer une vue originale sur les relations étroites entre Paul Valéry et le monde l’art.

Maïthé Vallès-Bled avoue avoir hésité à inclure dans la scénographie, une surface dédiée aux propres réalisations de Paul Valéry. La directrice du lieu a eu raison de faire pencher la balance dans le bon sens, tant les œuvres choisies apportent un éclairage nouveau sur la personnalité de l’écrivain en complément des grandes signatures convoquées. Paul Valéry avait commencé très tôt, dès l’enfance, à dessiner des voiliers sur ses cahiers d’écolier. Plus tard, son trait prendra une certaine assurance, jusqu’à des autoportraits sans indulgence soulignant les tourments intérieurs ou les morsures de l’âge. Il n’empêche que son travail capte de toute évidence l’attention des visiteurs, lesquels marquent le pas et même s’attardent avant de quitter cette exposition temporaire.

Pour le reste, c’est à dire l’immense partie de la scénographie, c’est un festival de grands noms qui garnit les cimaises de béton, de Courbet à Renoir, de Monet à Manet, de Morisot à Degas et jusqu’à Matisse et Picasso. Paul Valéry n’a par ailleurs, pas vraiment rejeté les modernes ayant émergé au début du 20e siècle, mais il a admis qu’il n’était guère de cette époque nouvelle.

L’une des œuvres ayant marqué sa jeunesse est « Sainte-Agathe » de Francisco de Zurbarán (1598-1664). Cette huile présente la sainte portant sur un plateau ses seins coupés. Elle était vierge et martyre avant de mourir autour de ses vingt ans. Si la peinture est belle en soi, l’histoire qu’elle raconte fait froid dans le dos. Paul Valéry lui, y décelait une certaine poésie. Dans un texte où il la rebaptise Alexandrine, il écrit: « mais la joie du supplice est dans ce commencement de la pureté: perdre les plus dangereux ornements de l’incarnation – les seins, les doux seins faits à l’image de la terre ». Toujours est-il qu’il en fera également un conte et que c’est aussi  le prénom de la sainte qu’il donnera à sa fille.

Les autres peintures exposées sont bien moins traumatisantes pour les yeux. C’est le grand avantage des artistes de la fin du 19 siècle que de ne pas nous ébranler le métabolisme, qu’il s’agisse de Auguste Renoir, Berthe Morisot, Edgar Degas, Claude Monet ou plus tard Maurice Denis voire Marie Laurencin (qu’il a  connue). Le regard ici ne puise qu’un plaisir toujours bon à prendre à défaut d’étonnement. Au point que même les deux peintures présentées de Picasso s’inscrivent dans cette tranquillité. Le corps peut vaquer et l’esprit plane sans crainte de dérangement.

C’est une chance pour les Sétois que de disposer de ce musée moderne dans un air débarrassé des toxines qui polluent notre ordinaire actuel au propre comme au figuré. L’architecture de ce bel immeuble, aux lumières intérieures bien maîtrisées, aux espaces larges, rappelle Le Corbusier. Il domine la mer sur un côté du Mont Saint-Clair et s’entoure d’un joli jardin rafraîchi de bassins rectangulaires. Il est en outre dirigé par une femme qui s’applique à le faire vivre avec une belle énergie. Parfois les prétextes sont tout trouvés puisque 2021 sera l’occasion de célébrer les 150 ans de la naissance de Paul Valéry. Sa ville natale ne peut pas rater l’événement.

PHB

 

« Paul Valéry et les peintres » jusqu’au 10 janvier 2021, musée Paul Valéry, Sète. L’image d’ouverture vient du fonds Paul Valéry (legs Judith Robinson Valéry). Crédit des suivantes: PHB
Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Exposition. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à La palette confidentielle de Paul Valéry

  1. Victor MARTIN-SCHMETS dit :

    En 1980, le 9 juin, a été vendue à Drouot (Pierre Berès, expert), la correspondance Valéry – Émilie Noulet. Il s’agit d’une importante correspondance (227 lettres de Valéry et 60 de Noulet, 500 pp.) étalée de 1935 à 1938. La longue (6 pp.) description signale que de très nombreux dessins de Valéry ornent des lettres ; deux de ces dessins sont reproduits heureusement.

Les commentaires sont fermés.